Auteur : Sophie C. Quinchard
Embrassant Olivier III Lefevre d’Ormesson à l’issue du procès de Fouquet, en 1664, d’Artagnan, futur Capitaine des mousquetaires du Roi, lui aurait dit “Vous êtes un illustre”. Et à l’exception de l’entourage de Louis XIV, la France entière eût probablement souscrit à cet avis.
Nicolas Fouquet, victime de manigances ?

L’acharnement des ennemis de Fouquet, la longueur du procès, les fraudes commises dans l’inventaire des pièces et l’habilité avec laquelle il se défendit, eurent raison de l’opinion publique, qui finit par prendre fait et cause pour l’accusé après l’avoir vilipendé.
Le Roi cependant voulait sa mort. Colbert, le principal Ministre de Louis XIV, avec lui. Au terme d’un procès fleuve de presque 4 ans, à 13 juges contre 9, Fouquet est finalement “seulement” condamné à la confiscation de ses biens et au bannissement hors du Royaume. Pour qu’il ne se réfugie pas dans une cour ennemie, le Roi use de son droit de grâce pour commuer la peine en un emprisonnement à vie en la forteresse de Pignerol. Fouquet y mourra en 1680.
Les jurés ayant voté pour le bannissement de Nicolas Fouquet
- Olivier Lefèvre d’Ormesson, rapporteur
- Raffelin de Rocquesante
- Nicolas de la Toison
- François de la Baume
- Mesneau
- Verdier
- Pierre de Catinat
- Le Feron
- De Moussy
- Paul de Brilhac
- Renard
- Besnard de Rèzé
- Louis de Pontchartrain
Jurés ayant voté pour la mort de Nicolas Fouquet
- Le cornier de Sainte-Hélène, rapporteur
- Henri Pressort
- Cuissote Gisaucourt
- Ferniol
- Nogues
- Ayrault
- Pierre Poncet
- Voisin
- Pierre Séguier, chancelier, président de la Cour
Dans ce procès éminemment politique, c’est à Olivier III d’Ormesson, Rapporteur du procès, que l’on attribue la clémence de la Chambre de justice. Beaucoup considèrent qu’il a posé lors du procès Fouquet le premier acte d’indépendance de la justice face au pouvoir. Il aurait donc eu une influence décisive sur l’histoire des institutions.
Qui est Olivier III d’Ormesson ?

La famille Lefèvre entame son ascension sociale au XVIe siècle, au service des puissants Montmorency, dont ils sont les « commensaux », c’est-à-dire qu’ils gèrent leurs affaires. Les Ormesson s’acquittent de ces fonctions avec suffisamment de talents pour leur permettre d’acquérir des charges et d’intégrer la « Noblesse de Robe ».
Olivier III d’Ormesson nait le 28 décembre 1616, il est le fils d’André Lefèvre d’Ormesson, Conseiller d’État. À 20 ans, il est reçu conseiller au Parlement de Paris. Sept ans plus tard, en 1643, il achète une charge de Maître des Requêtes.
(Ndlr : Les maîtres des requêtes étaient rapporteurs au conseil d’État, juges souverains des officiers de la maison du roi. Ils siégeaient au parlement immédiatement après les présidents, et étaient envoyés dans les provinces comme intendants de justice, police et finances. )
En janvier 1650, Olivier d’Ormesson est adjoint à Nicolas Fouquet pour exercer les fonctions d’intendant dans la Généralité de Paris. Plus tard, il est nommé intendant de justice, police et finances en Picardie, puis en Soissonais. Institués par Richelieu pour être les agents directs et permanents de la puissance centrale, les intendants avaient plusieurs missions : rendre justice, répartir les impôts et en surveiller la perception, mais aussi administrer les travaux, les hôpitaux, le commerce.
En 1661, Louis XIV le nomme membre de la chambre de justice chargée d’instruire le procès de Fouquet, puis par la suite rapporteur du procès.
Olivier III d’Ormesson, Colbert et le Roi lors du procès Fouquet

©Hérodote
Quels qu’aient été les torts de Fouquet, Olivier III d’Ormesson juge le châtiment de mort hors de proportion avec la faute. Lors du récent passé de Fronde, les crimes de malversation, et même de trahison étaient “monnaie-courante” et avaient été souvent amnistiés.
Il décide de se vouer corps et âmes à la Défense de l’ancien ministre des Finances – qui n’est par ailleurs pas son ami. Mme de Sévigné, sa parente dit qu’il “entra en conclave” se consacrant tout entier au procès et ne voulant plus même voir ses amis.
En cinq audiences successives, Olivier d’Ormesson expose son point de vue et s’oppose au réquisitoire du Procureur Général Chamaillard, qui demande la pendaison “jusqu’à ce que mort s’en suive”. L’instructeur du procès défend la confiscation des biens et le bannissement du Royaume à perpétuité.
Hors les audiences, Ormesson fait aussi face d’abord aux intimidations, aux pressions, puis aux menaces et enfin aux sanctions du Roi, portées par Colbert.

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Pour faire plier le fils, Colbert et Louis XIV cherchent en vain à acheter le père : Colbert fit par exemple donner à André d’Ormesson, doyen du Conseil d’État, la mission de haranguer dans la cathédrale de Paris les ambassadeurs suisses, qui venaient renouveler les anciennes capitulations avec la France. C’était une fonction réservée ordinairement au chancelier, et, pour perpétuer le souvenir de cet insigne honneur, Louis XIV donne à André d’Ormesson une médaille d’or.
C’est sans effet sur Olivier d’Ormesson. Colbert vient alors directement plaider la cause auprès d’André d’Ormesson, déjà vieillard, et quasi menacer le fils. Cette nouvelle tentative essuie également un échec. L’homme d’Etat, enfin, lui enlève la charge d’intendant du Soissonais. C’est encore sans effet sur Olivier qui le raconte dans son journal ainsi :
« Une conduite si bizarre et si extraordinaire m’oblige à dire ici les sentiments qu’on en a. Tout le monde blâme M. Colbert de se charger lui-même de messages désagréables […]; d’avoir voulu venir encore lui-même parler à mon père, par le même principe; que d’ôter [de la chambre de justice] M. Boucherat, homme de bien et de réputation, c’était faire connaître que ses intentions étaient mauvaises; que de m’avoir ôté l’intendance de Soissons, étant rapporteur, c’était me faire honneur et se charger de honte, et faire croire qu’il désirait de moi des choses injustes, et que j’avais assez d’honneur pour y résister; que c’était achever de gâter le procès en faisant injure au rapporteur, et me mettant hors d’état de leur être favorable, quand j’en aurais le dessein; car l’on attribuerait mes sentiments à crainte ou à intérêt, et non pas à justice”
“M. Colbert lui avait dit [à son père] que l’on remarquait pourtant que je disais plus fortement et plus gaiement les raisons de M. Fouquet que celles du procureur général; qu’il lui avait répliqué qu’un rapporteur était obligé de faire valoir toutes les raisons; que l’on m’avait ôté l’intendance de Soissons, mais que je ne m’en plaindrais pas, et que cela ne m’empêcherait pas de faire justice; qu’il avait peu de biens et moi aussi, mais que nous les avions de, nos pères et que nous en étions contents; qu’il m’avait toujours conseillé de faire justice sans acception de personnes et sans considération d’intérêt et de fortune; et qu’ayant parlé des personnes qui me faisaient visite, M. Colbert avait dit qu’on n’était pas en peine de cela, et qu’on savait bien que je ferais justice, mais qu’on ne désirait que l’expédition; qu’il lui avait répliqué que je faisais tout ce qui dépendait de moi, travaillant soir et matin, et ne faisant autre chose; et ainsi, après plusieurs discours de cette qualité, il s’était retiré.”
La légende – ou l’histoire ? – veut même qu’olivier d’Ormesson ait répondu au Roi qui le pressait de condamner Fouquet : « Sire, la cour rend des arrêts, non des services ».
“et ainsi le procès s’est terminé; et je puis dire que les fautes importantes dans les inventaires, les coups de haine et d’autorité qui ont paru dans tous les incidents du procès, les faussetés de Berryer et les mauvais traitements que tout le monde, et même les juges, recevaient dans leur fortune particulière, ont été de grands motifs pour sauver M. Fouquet de la peine capitale; et la disposition des esprits sur cette affaire a paru par la joie publique, que les plus grands et les plus petits ont fait paraître du salut de M, Fouquet, jusques à un tel excès qu’on ne le peut exprimer, tout le monde donnant des bénédictions aux juges qui l’ont sauvé, et à tous les autres des malédictions et toutes les marques de haine et de mépris, les chansons contre eux commençant à paraître; et je suis surpris qu’y ayant quinze jours passés que cette histoire est finie, le discours n’en finit point encore, et l’on en parle par toutes les compagnies comme le premier jour.”
Olivier d’Ormesson entre en disgrâce

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A la suite du jugement, défavorable à la volonté de Louis XIV, la résistance d’Olivier d’Ormesson entraîna sa disgrâce.
Lorsque son père, André d’Ormesson, mourut en 1665, il sollicita vainement sa place au Conseil d’État, dont la survivance lui avait été promise par Louis XIV. Pourtant appuyé par Turenne et la Reine mère, Louis XIV lui fit répondre “« Quand vous mériterez mes bonnes grâces, je vous les accorderai volontiers. ». La place de son père au Conseil fut donnée à Poncet, un des juges qui avaient conclu à la peine de mort contre Fouquet. Olivier d’Ormesson sollicita ensuite plusieurs fois d’autres places au Conseil d’Etat, sans plus de succès.
Las, il vendit sa charge de Maitre des requêtes en 1667 et se retira à Amboile (actuel Ormesson, dans le Val-de-Marne, érigé en Marquisat d’Ormesson par Louis XV en 1758), auprès de sa famille (Il avait épousé, le 22 juillet 1640, Marie de Fourcy, fille de Henri de Fourcy, président de la chambre des comptes). Parmi ses sept enfants, son fils André suivit son chemin comme Conseiller au Grand Conseil, agréé par Louis XIV, puis comme Maître des requêtes.
Depuis Amboile, Ormesson eut aussi une influence fondatrice sur la tradition culturelle et littéraire française. Il y reçoit Mme de Sévigné, mais aussi de nombreux artistes et écrivains de l’entourage de Fouquet venus lui témoigner de leur gratitude pour sa neutralité méritante : La Fontaine, Racine, Boileau, Bossuet, Turenne, ou encore Le Brun et Bourdaloue. Et enfin Le Nôtre, dont un émule réalisera le jardin d’Ormesson un demi-siècle plus tard. Olivier III d’Ormesson préfigure ainsi, sans le savoir, les salons littéraires du 18ᵉ siècle !
Il mourut le 4 novembre 1686. La Gazette de France annonça cet événement dans les termes suivants : « Messire Olivier Lefèvre d’Ormesson, ancien maître des requêtes, mourut ici, le 4 de ce mois, après une longue maladie. Il a été fort regretté à cause de sa grande capacité et probité singulière. »
De cette page de l’histoire, le château d’Ormesson en conserve encore la trace dans deux salles complètes, remplies de pièces du procès. Une autre partie de cette énorme documentation a été déposée aux Archives nationales. Les mémoires d’Olivier d’Ormesson sont conservées à Rouen.
Notre Autrice invitée : Sophie C. Quinchard

Sophie Quinchard, enfant du Val de Loire, sociologue de formation initiale, je cherche dans l’Histoire la compréhension de notre présent collectif, avec une approche tentant à “sociologiser l’histoire”, autant qu’à d’historiser la sociologie.
Côté « CV », après une première carrière de plus de 20 ans de Directrice de la communication, je suis en reconversion, à 45 ans, en Master Patrimoine et Culture. Et je suis bien entendu à l’écoute des opportunités.
Sources :
http://rouvroy.medusis.com/docs/1420.html