Des braquages, l’Histoire en a connu des tas, mais le casse du Garde-Meuble de la Couronne, futur Hôtel de la Marine, en 1792, demeure le plus gros vol de Paris. Alors que la ville est mise à feu et à sang en ces temps révolutionnaires, les bijoux de la monarchie sont dérobés par les malfrats de la capitale, qui entreprirent l’un des plus gros casses de tous les temps !
Les joyaux de la Couronne au Garde-Meuble
Dans le sillage de la Révolution
Nous sommes en 1791, le roi Louis XVI et son épouse Marie-Antoinette d’Autriche sont arrêtés dans la nuit du 20 juin alors qu’ils essaient de s’enfuir à Varennes, chez une armée fidèle à la monarchie, près de la frontière allemande.
Le couple royal tente d’échapper à la fureur des révolutionnaires, et pendant ce temps-là, les bijoux et joyaux de la couronne sont réquisitionnés et inventoriés par le nouveau gouvernement qui se met en place. On décide alors de les entreposer dans l’Ancien Ministère de la Marine à Paris, sur cette future place de la Révolution, aujourd’hui place de la Concorde.
La ville connaît une lourde vague d’émeutes, et on cadenasse solidement les portes du Garde-Meuble, qui sert de décor au champ de bataille que sont devenues les Tuileries. C’est une véritable guerre civile qui règne dans la capitale, à défaut du pouvoir monarchique, et l’on n’arrête bientôt plus les massacres et pillages dans les grandes villes de France (Versailles, Meaux, Orléans…).
La collection du Garde-Meuble, une aubaine pour un casse
Ces bijoux représentent à la fois l’essence, l’orgueil et la pomposité de la monarchie. Chaque roi et reine de France apposa sa pierre, certes précieuse, à la couronne, dans la continuité de François Iᵉʳ.
On compte pas moins de 9000 pierres précieuses et des tonnes d’or soigneusement gardées dans ces entrepôts, dont la pièce la plus importante est un diamant blanc autrefois acquis par Philippe d’Orléans : le Régent. Ce joyau indien d’une valeur de 140 carats a même eu sa place sur la couronne de Louis XV à Reims, et se pose comme véritable trésor de la monarchie.
On a volé le Garde-Meuble !
Le casse de la nuit du 16 septembre 1792
Dans la nuit du dimanche 16 septembre, aux alentours de 23h, les gardes du futur Hôtel de la Marine sont alertés par des bruits suspects, ou plutôt des chants d’ivrognes. Ils interrompent alors leur ronde, pensant gérer une bagarre de rue devant le bâtiment, mais tombent nez à nez avec deux hommes : l’un hurle suspendu à un réverbère, l’autre chute devant eux et s’en casse la jambe. Les deux biturins sont fouillés et on trouve dans leurs poches des dizaines de diamants dérobés.
Les gardes enfoncent aussitôt les portes et se pressent à l’intérieur du Garde-Meuble. Ils sont stupéfaits lorsqu’ils découvrent qu’il ne reste plus rien du trésor royal, et que ces 9000 pierres précieuses ont été remplacées par des miettes et des bouteilles vides.
Le casse du Garde-Meuble, un casse préparé
Le cambriolage dure en fait depuis une semaine déjà, cinq nuits exactement, mais le premier casse est passé inaperçu. Tous les pillards de la ville de Paris se sont passés le mot, et ce sont les derniers arrivés qui se sont fait prendre, n’ayant pu résister à la tentation de célébrer le casse du siècle…pendant le casse.
Le plan était toutefois très bien préparé : la presse rapporte que des hommes armés ont escaladé le balcon du rez-de-chaussée, forçant les croisées et enfonçant la porte des appartements. Ils fracturèrent les armoires pour en libérer le butin. Pendant ce temps-là, une quarantaine d’hommes armés de sabres, de poignards et de pistolets se faisait passer pour des gardes, exécutant des fausses patrouilles autour du Garde-Meuble. Au même instant, les cambrioleurs se sont introduits dans les entrepôts pour s’emparer des trésors royaux.
Les auteurs du casse : du Garde-Meuble aux barreaux
Les premiers démasqués sont connus sous les noms de Joseph Douligny et Jean-Jacques Chambon. Ces derniers craignent la potence et décident de dénoncer leurs complices afin de s’attirer l’indulgence de la Convention. Ils seront finalement condamnés à la peine de mort, guillotinés sur la place de la Révolution, devant le Garde-Meuble, et inaugurant une longue série d’exécutions.
Leurs témoignages serviront tout d’abord à l’arrestation de Louis Lyre, qui sera moqué pour son accent italien lors de son passage au tribunal. On raconte qu’il voulut parler au peuple et clamer son innocence, mais l’exécuteur coupa court à son discours, le priant de se hâter.
Quelques jours plus tard, c’est leur ami Melchior Cottet qu’ils jetèrent à la justice. Celui qu’on surnommait “Le Petit Chasseur” fut le premier confident du projet de cambriolage, et revêtit un costume de garde national, fournissant aux malfrats des étuis permettant de protéger les bijoux volés. Ses déclarations interminables agacèrent, mais il réussit à s’accorder deux heures avant son exécution, prétextant qu’il sauverait le pays en se rendant une dernière fois au Garde-Meuble. Ne révélant finalement aucun complot et accusé de faire partie de l’intégralité du plan, il fut condamné à la peine de mort.
Les joyaux de la Couronne
Le Régent
Après deux ans d’enquête, une grande partie des bijoux a finalement été retrouvée, une section vendue en 1888, et la plus belle part conservée au Louvre.
Le Régent fut estimé à 12 millions de livres en 1791 et constitue toujours l’objet le plus précieux de la collection. Ce diamant avait été dissimulé dans la charpente du grenier du Garde-Meuble, et fut ainsi récupéré et porté au Comité de Sûreté Générale, servant de pièce à conviction pour le procès des accusés. C’est incontestablement l’un des trésors des rois de France.
Plus tard, il servit de caution à la Prusse pour un prêt de 5 millions, avant de finalement orner l’épée du sacre de Napoléon Bonaparte. Aujourd’hui, le Régent est conservé dans la Galerie d’Apollon, au musée du Louvre.
Le Diamant Bleu
Un autre bijou remarquable qui se distingue par sa couleur d’un bleu profond, est un saphir acquis par Louis IV en 1668, auprès de Jean-Baptiste Tavernier. Cette pierre simplement surnommée “le Bleu”, est retaillée et réduite à 69 carats, avant d’effectuer de nombreux hypothétiques voyages. Une marchande londonienne en aurait fait l’acquisition en 1812, mais le parcours opéré par le diamant avant reste un mystère.
En 1839, un nouveau diamant bleu, quoique bien similaire à celui du Garde-Meuble, fait surface et défraye la chronique. Les registres attestent de sa présence au sein de la collection du banquier Henry Philip Hope, qui lui prêta ensuite son nom. Le Hope fut alors revendu à une riche héritière américaine, Evalyn Walsh McLean, en 1912. À la mort de la légataire, le joaillier Harry Winston devient détenteur du diamant et en fait don au musée national d’Histoire Naturelle des Etats-Unis en 1958.
Le diamant bleu de France n’a donc officiellement jamais été retrouvé, mais a tout de même servi d’inspiration au collier du Cœur de l’Océan dans le film Titanic. Si la plupart des autres joyaux font maintenant partie de l’héritage culturel national, le vol du Garde-Meuble s’impose comme le plus gros casse que l’Histoire de Paris. En des temps où la monarchie est mise à mal, l’orgueil royal est mis de côté pour préserver le trésor du patrimoine français, trésor d’une nation en plein changement.
Sources :
Podcast France bleu – Le plus grand cambriolage de l’histoire de Paris : le vol des joyaux de la couronne
– Le Monde Illustré – 6 mai 1871
– La Vie Moderne – 16 mai 1897, journal hebdomadaire
– L’incroyable destin du diamant bleu de la couronne de France – Maria Pilar Queralt del hierro, National Geographic, 2021.