Savonarole
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Jérôme Savonarole : hérétique furieux ou oracle mystique ?

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Considéré par ses contemporains comme un illuminé, un martyr, un contestataire ou bien un prophète, Jérôme Savonarole a marqué l’histoire toscane de la fin du XVe siècle. Le prédicateur italien est né à Ferrare le 21 ou 24 septembre 1452 et mort exécuté à Florence le 23 mai 1498. À la tête d’un régime théocratique et autoritaire durant les quatre dernières de sa vie, l’homme austère défie le pouvoir pontifical et les élites humanistes de son époque. Carnet d’Histoire vous présente aujourd’hui l’histoire de ce menaçant prédicateur italien qui a dirigé l’une des villes les plus prospères de l’Occident à la Renaissance. 

Jérôme Savonarole, puissant agitateur 

Savonarole
Fra Bartolomeo, Portrait de Jérôme Savonarole, vers 1498.

Jérôme Savonarole, en italien Girolamo Savonarola, entre chez les frères dominicains en 1475, à l’âge de 23 ans. Il commence une carrière de prédicateur et fait le tour des villes de Toscane ainsi que des régions environnantes. Ses sermons enflammés et moralisateurs rencontrent un grand succès, notamment auprès des toscans déçus de la politique médicéenne. En 1491, il devient prieur du couvent de Saint-Marc à Florence et continue de gagner en popularité grâce à ses discours enfiévrés. 

Lorsqu’en 1494 le roi de France Charles VIII (1470-1498) se lance dans l’invasion des territoires italiens, les prophéties pessimistes et angoissantes de Savonarole semblent se réaliser. En effet, ce dernier assurait à ses ouailles qu’un nouveau Cyrus marcherait sur la péninsule. La venue du souverain français – qui marque le commencement des guerres d’Italie (1494-1559) – prouve aux yeux des crédules que le virulent prédicateur dit vrai.

Certains patriciens opposés aux Médicis se saisissent de l’occasion offerte par l’incursion française pour renverser le gouvernement. La riche famille italienne, au pouvoir depuis des décennies, est contrainte de quitter honteusement Florence ; la direction de la cité est confiée, de fait, à Jérôme Savonarole.

Fort de ses succès, Jérôme Savonarole se permet de pointer du doigt la corruption et la dépravation des prélats romains et met en garde ses fidèles contre la colère divine qu’engendre cette décadence de l’Église. Le pape Alexandre VI (1431-1503), plus connu sous le nom de Rodrigo Borgia, lui interdit d’abord de prêcher, puis, en 1497, prononce la terrible sentence de l’excommunication. La sanction du Vatican et l’isolement de Florence qui en découle conduisent les soutiens de Savonarole, alors accusé d’hérésie, à se rebeller contre lui. Condamné et rejeté par le pape et le peuple, il est pendu, puis brûlé sur la place de la Seigneurie en 1498 ; ses cendres sont, par la suite, dispersées dans l’Arno.

Savonarole
Filippo Dolciati, Exécution de Jérôme Savonarole, 1498-1500.

Le sinistre bûcher des vanités 

Le 7 février 1497, les disciples de Savonarole réunissent des “vanités” (bijoux luxueux, œuvres d’art dites “païennes”, habits raffinés, instruments de musique, livres “immoraux”…) afin de les détruire par le feu. La tyrannie religieuse imposée par le dominicain et ses sbires se donne pour mission de réprimer les “excès” et combattre les péchés des Florentins. La ville conserve longtemps les stigmates de cet épisode spectaculaire et obscurantiste. 

Paradoxalement, ce bûcher iconoclaste attire également des artistes. Parmi eux, l’on retrouve le poétique Sandro Botticelli (1445-1510), célèbre entre autres pour ses chefs-d’œuvre absolus Le Printemps et La Naissance de Vénus. Le grand maître jette lui-même aux flammes certaines de ses peintures, inspirées par la mythologie gréco-romaine et jugées trop sensuelles pour les nouvelles mœurs. Ses réalisations postérieures à la parenthèse théocratique florentine sont d’ailleurs empreintes de la dévote pensée savonarolienne. 

Une culture humaniste trop élitiste? 

Florence
Cathédrale Sainte-Marie-de-la-Fleur de Florence
©Bruce Stokes

Au cours du Quattrocento, Florence émerveille par sa puissance et son rayonnement sur le reste de la péninsule italienne. Berceau de la Renaissance, la ville qui se rêve Nouvelle Athènes embrasse la culture antique, notamment grâce au mécénat des Médicis. L’humanisme de la cour de Laurent le Magnifique (1449-1492) se heurte à la vision, résolument aux antipodes, de Jérôme Savonarole qui considère que l’influence de l’Antiquité entraîne irrémédiablement un recul de la piété chrétienne, un éloignement du Dieu des catholiques. L’avènement du tyran et de ses rigoureuses revendications bouleverse brutalement l’équilibre culturel et politique de la cité du Lys. 

Le discours sévère de Savonarole trouve un écho auprès de ceux qui se sentent exclus de cette civilisation humaniste caractérisée par son amour des belles-lettres et son appétence pour le symbolisme savant. Cela pourrait expliquer, pour certains historiens, le succès que rencontre le véhément dominicain dans cette seconde moitié du XVe siècle. Ainsi, l’ascension de l’ardent prédicateur serait en partie due à un ressentiment des Florentins “moyens” contre cette culture qu’ils jugent trop élitiste. Malgré son aspiration à l’universalité, l’Humanisme de la Renaissance devient un facteur de différenciation sociale qui provoque une profonde fracture séparant d’un côté une culture que l’on pourrait qualifier de “populaire” et de l’autre, une culture humaniste des élites érudites. 

Alors, hérétique furieux ou oracle mystique ? Quoi qu’il en soit, la place centrale qu’occupe Jérôme Savonarole dans la Florence de la dernière décennie du Quattrocento est évidente. Même après sa mort au tournant du XVIe siècle, son ombre continue de planer sur la capitale toscane, comme en atteste la production artistique post-Savonarole de Sandro Botticelli. Le dominicain réforme la Constitution et les mœurs de la cité qu’il dirige : cet exercice autoritaire du pouvoir ainsi que sa personnalité exaltée entraînent la division parmi ses contemporains et suscitent encore le débat chez les spécialistes de l’époque moderne.

Sources : 

  • BRAUDEL Fernand, Le Modèle italien, Paris : Flammarion, 1994. 
  • FEUILLET Michel, Botticelli et Savonarole : l’humanisme à l’épreuve du feu, Paris : Éditions du Cerf, 2010.
  • JOUANNA Arlette, La France de la Renaissance, Paris : Tempus Perrin, 2001. 
  • TERREAUX-SCOTTO Cécile, “Le tragique des guerres d’Italie dans les sermons de Savonarole et de ses émules”, Cahiers d’études italiennes, 19 | 2014.
  • https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Jérôme_Savonarole/143407

Source photo principale : © Daderot.