Christine de Suède
Personnages historiques

Christine de Suède, une reine charismatique et excentrique

Personnalité sulfureuse et énigmatique, la Reine Christine de Suède a laissé une trace indélébile dans l’Histoire européenne. Reine de 1632 à 1654, mais régnant par elle-même seulement à partir de 1644, elle réussit à asseoir la Suède à la table des grandes puissances d’Europe. En abdiquant et en refusant obstinément le mariage, elle est la dernière souveraine de la dynastie Vasa. Femme de lettres et de pouvoir elle s’intéresse aux arts, à la philosophie, à la poésie, aux mathématiques et échange avec les grands érudits de son temps comme René Descartes ou Blaise Pascal. Voici la vie de la fascinante Christine, reine de Suède.

Elle devient ”Roi” de Suède à 6 ans

Une enfance malheureuse dans l’ombre de son père Gustave II Adolphe

Christine, de son nom de naissance Christina ou Kristina Alexandra Vasa, naît le 18 décembre 1626 à Stockholm. Sa mère, Marie-Éléonore de Brandebourg, est une princesse prussienne. Quant à son père, Gustave II Adolphe, il est roi de Suède, on le surnomme “Le Grand” ou “Le Lion du Nord”. Pendant ses 21 ans de règne, de 1611 à sa mort tragique en 1632, il apporte gloire et prospérité à la Suède. Entre son génie militaire et ses réformes administratives, il redresse le royaume et assure un équilibre crucial à une époque où les guerres de religions entre catholiques et protestants font rage.

Christine est le second enfant du couple mais sa sœur Christine Augusta meurt avant sa naissance. Faute d’avoir un héritier mâle, on élève la petite Christine comme un garçon. Dans les 6 premières années de sa vie, quand il n’est pas à la guerre, son père lui porte une grande affection. Mais voilà que le 6 novembre 1632, Gustave Adolphe est tué au cours de la bataille de Lützen, alors qu’ il menait ses troupes contre celles du Saint Empire et de la ligue catholique. Christine a alors 6 ans, et elle devient non pas reine, mais Roi de Suède, conformément aux souhaits de son défunt père. Le chancelier Axel Oxenstierna, proche conseiller du roi, est choisi pour assurer la régence.

A sa majorité, la Reine s’affirme face au régent Axel Oxenstierna

En 1644, Christine est officiellement majeure et très rapidement elle montre son désir de gouverner seule. Pacifiste dans l’âme elle ne supporte plus cette guerre qui fait rage et elle signe en 1648, avec les autres partis, le Traité de Westphalie qui met fin à la Guerre de Trente ans et à La Guerre de Quatre Vingt ans et qui redessine également les frontières européennes en offrant à la Suède des territoires stratégiques qui font du royaume l’un des plus importants d’Europe. Cette signature permet à Christine d’écarter le chancelier Oxenstierna, devenu trop encombrant, et elle lui permet aussi et surtout de se concentrer sur les arts et la littérature.

Passionnée de philosophie, elle dépense sans compter dans de précieux ouvrages et invite, ou force, le philosophe français René Descartes à venir lui rendre visite à Stockholm en 1650, visite qui lui sera d’ailleurs fatale.

Un règne prometteur qui a coupé court pour la reine de Suède

C’est en partie grâce à sa rencontre et à ses discussions avec Descartes qu’elle va commencer à réfléchir sur à ce que signifie sa position de souveraine. Peut-être qu’elle ne désire pas vraiment ce pouvoir, peut-être que ce qu’elle voudrait c’est satisfaire sa curiosité et de jouir des beautés que le monde a à lui offrir ? Dès 1651, Christine considère l’abdication. Il n’y a pas que la liberté intellectuelle qu’elle recherche. En effet durant son règne elle est confrontée à un autre problème, le mariage.

Si elle a des amants, comme le comte Magnus Gabriel de la Gardie, elle se refuse à l’idée du mariage, synonyme pour les femmes de son temps à un asservissement pur et simple à son époux. Sauf que voilà, la continuité de la dynastie Vasa est en jeu, et ce problème paralyse et lasse Christine. En plus de cela, ses dépenses considérables ont vidé ses caisses et elle est proche de la difficulté financière. Ainsi, en 1654 après 21 ans de règne, pour se sauver, elle décide d’abdiquer, non pas sans emporter avec elle quelques revenus royaux, lui permettant en théorie de vivre une vie confortable.

Rene Descartes et la reine de suede
René Descartes explique ses idées à la Reine Christine de Suède, par Pierre-Louis Dumesnil (vers 1650)

Nouvelle vie pour Christine de Suède et séjour en France

Une Reine à la Cour de Louis XIV

Malgré les lamentations de son peuple, qui l’apprécie beaucoup, Christine ne revient pas sur sa décision. Elle fait ses bagages et quitte la Suède le lendemain de son abdication.

En route, elle s’arrête à Bruxelles, et là bas, en secret elle se convertit au catholicisme, alors même qu’il y a peu elle était la souveraine d’un important royaume protestant. Profondément francophile, Christine décide de se rendre en France. Malgré une certaine rivalité avec le jeune roi Soleil, elle est accueillie en grande pompe à la Cour de Versailles par Louis XIV, elle reste tout de même une ancienne souveraine d’un puissant royaume d’Europe. Elle s’installe dans un hôtel particulier de Paris pendant quelque temps pour profiter de sa nouvelle liberté.

Mais voilà, Christine de Suède à une personnalité bien particulière. En plus d’avoir un caractère bien trempé, elle ne respecte pas les codes sociaux. Non seulement elle s’habillait de façon scandaleuse pour l’époque, mais son train de vie était bien loin des attentes de la société envers une femme catholique et d’ascendance royale !

reine Christine en Minerve
La reine Christine en Minerve, Juste d’Egmont (1654)

Christina de Suède : une personnalité haute en couleur qui dérange

Christine de Suède fut, tout au long de sa vie une femme qui bousculait les codes. Avec son style vestimentaire particulier, androgyne selon les codes de l’époque, éduquée comme un garçon, entourée d’hommes, elle avait pris l’habitude de mélanger les codes masculins et féminins de l’époque. Elle portait des vêtements d’hommes, des jupes trop courtes, et elle n’hésitait pas à parler fort et était parfois vulgaire.

Quand elle était reine, on lui pardonnait ses écarts vis-à-vis des normes sociales. Mais maintenant qu’elle a abdiqué, on ne lui trouve plus aucune excuse pour ce qui est considéré à l’époque comme des excentricités. D’autant plus que sa vie amoureuse tumultueuse, avec des femmes et des hommes, ne passe pas du tout auprès de la Cour française. On ne comprend pas bien cette femme qui se comporte comme un homme et elle embarasse Louis XIV et son ministre Mazarin, si bien qu’ils se demandent comment la faire partir du royaume.

Christine et le meurtre de Monaldeschi dans la Galerie des Cerfs à Fontainebleau

C’est un événement tragique en 1657 qui va faire perdre à Christine la protection de Louis XIV et qui va l’obliger à quitter la France. Voulant négocier une potentielle prise du trône de Naples aux Espagnols avec le Cardinal Mazarin, Christine se rend à Fontainebleau. C’est là que l’ancienne souveraine intercepte une lettre qui révèle, selon elle, que son favori et grand écuyer, Giovanni Monaldeschi, aurait communiqué des informations sur elle aux Espagnols. Christine ne cherche pas à connaître les circonstances.

Elle confronte son suivant dans la Galerie des Cerfs de François Ier et l’accuse de trahison. Confus, Monaldeschi se jette au pied de sa protectrice et la supplie de le gracier. Mais rien n’y fait, et Christine ordonne qu’on le mette à mort. C’est là, dans la galerie, en présence d’un homme d’église, que les hommes de Christine transpercent le malheureux, versant son sang sur le sol de la Galerie historique. Cet événement tragique permet à Louis XIV et à son ministre de trouver une excuse pour pousser Christine hors du royaume. Car Christine de Suède c’est aussi cette personnalité étrange pour l’époque, incontrôlable et à présent dangereuse.

Reine Christine et le marquis Giovanni Monaldeschi
La Reine Christine et le marquis Giovanni Monaldeschi, Johan Fredrik Höckert (1853)

Retour à Rome et installation définitive

Une relation privilégiée avec le Vatican et le Pape Alexandre VII

Après l’incident à Fontainebleau, les différentes Cours d’Europe se font très discrètes vis-à-vis de Christine de Suède, alors même qu’au début de son périple elles voulaient toutes la recevoir. La souveraine décide donc de retourner à Rome, où elle s’était déjà rendue pour officiellement renier sa foi protestante et recevoir sa première communion par le Pape Alexandre VII. Si lors de sa première visite elle avait été accueillie avec allégresse, comme une véritable sainte, avec même un dîner inédit à la table du Pape, cette fois-ci son retour n’enchante pas le pontife.

Les mœurs et l’homicide commandité par la souveraine ne sont pas vraiment en accord avec la foi catholique. Elle a grandement perdu de la popularité dont elle jouissait au départ. Christine ne s’entend pas du tout avec le Pape Innocent XI, le dernier qu’elle connut. Mais malgré tout, pour la papauté elle a une valeur très importante, elle reste une reine protestante convertie au catholicisme et on lui pardonne bien souvent ses manières qui déroutent.

Pape Alexandre VII
Portrait du Pape Alexandre VII par Baciccio (1667)

Christine de Suède, une figure incontournable de la culture et des arts

Si lors de son premier séjour on l’avait installé au Palais Farnèse, cette fois, on l’installe au Palais Riario, futur Palais Corsini. C’est là qu’elle crée autour d’elle une véritable communauté artistique. Elle fonde, dès son retour à Rome, une Académie de lettres et d’artistes qui selon ses dires avait pour devoir: “D’étudier et de superviser la pureté de la langue italienne, de promouvoir les études de l’astronomie et de l’astrologie, ainsi que la philosophie, à travers des discussions régulières et des conférences. ». Une Académie qui est toujours en activité aujourd’hui. Elle s’intéressait à tous les domaines, allant de la peinture aux mathématiques en passant par la physique, sa culture était si importante qu’on la surnommait la Minerve du Nord.

Mais c’est sa passion pour l’art qui était sans borne. Non seulement elle soutient financièrement ou amicalement des artistes comme le Bernin, mais elle continue à acheter de nombreuses œuvres d’arts pour compléter la collection qu’elle a emporté avec elle depuis la Suède, dépensant parfois un argent qu’elle n’a pas. On dit qu’elle possédait entre 400 et 500 toiles, des dizaines de sculptures et des quantités de dessins. Cette collection était l’œuvre de toute un vie et était d’une très grande qualité.

Arts autour du buste de la Reine Christine de Suède
Les Arts autour du buste de la Reine Christine de Suède, par David Klöcker Ehrenstrahl

Une passion moderne pour la musique et le théâtre

Depuis son enfance, Christine entretient une relation privilégiée avec la musique. Déjà à la Cour de son père, on assiste à des concerts donnés par un orchestre formé de musiciens allemands et italiens, dirigés par le compositeur Michael Praetorius. Un an après la signature du traité de Westphalie, elle fait organiser un Ballet de la Naissance de la paix dont elle fait rédiger les vers par Descartes. Le soir de son baptême à Bruxelles, on lui organise une représentation d’un opéra italien de Zamponi, Ulysse à l’île de Circé. Sa vie est ponctuée d’instants musicaux qui marquent ses grands moments. Dans son Palais romain, elle entretient de nombreux musiciens baroques comme Filippo Acciaiuoli, Alessandro Scarlatti ou Alessandro Stradella.

Quand elle est de retour à Rome, elle arrache au Pape son accord pour créer un théâtre public dans un ancien couvent, le premier à Rome. Ce théâtre s’appelle le Tor di Nonna et à l’intérieur, elle innove et chose qui crée scandale, les femmes sont acceptées sur scène. Mais en 1675 Clément X fait fermer ce théâtre mettant un terme aux ambitions trop modernes de Christine.

Kristina de Suède
Christine de Suède, par Sébastien Bourdon (1653)

Malgré une vie bien remplie, Christine de Suède décède seule, le 19 avril 1689, dans son palais romain. Son ami et ancien amant, le cardinal Decio Azzolino, lui organise des funérailles hors du commun digne d’un pape. Ceci montre bien que Christine de Suède fut une figure à la fois politique, sociale et culturelle du XVIIe siècle en Europe. Avec son caractère bien trempé et ses frasques, elle s’est frayée un chemin parmi les plus grandes personnalités d’Europe, dinant avec le Pape et rivalisant avec Louis XIV.
Après la cérémonie, on la place dans un sarcophage dans la crypte de Saint Pierre de Rome, hommage ultime, qu’on a concédé à seulement quatres femmes dans l’Histoire, chose qui suffit pour comprendre la place qu’elle possède dans l’Histoire.