Adèle Hugo
Personnages historiques

Adèle Hugo, une femme à l’esprit vraiment misérable ?

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Incarnée en 1975 par Isabelle Adjani devant la caméra de François Truffaut, Adèle Hugo est la fille de Victor Hugo que l’Histoire a mis de côté. Seule de ses enfants à ne pas avoir connu de mort prématurée, le sort ne l’a tout de même pas épargnée. Isolée jusqu’à l’internement, celle que l’on prenait pour folle a vu sa vie bercée par la mélancolie ; une sentimentale dans un monde qui lui a tourné le dos.

L’enfance difficile d’Adèle Hugo

La Famille Hugo

Adele Hugo famille
Famille de Victor Hugo

Adèle Hugo naît le 28 juillet 1830 à Paris, cinquième enfant et seconde fille du couple Victor Hugo et Adèle Foucher. De ses frères et sœurs, elle sera la seule à ne pas connaître une fin anticipée :

Léopold mourra à 3 mois
Léopoldine se noiera à 19 ans
Charles sera victime d’une attaque d’apoplexie à 44 ans
François-Victor mourra de la tuberculose à 45 ans.

Avant même que cette lugubrité ne s’installe au sein de la famille Hugo, le couple parental bat de l’aile. L’année de sa naissance, Sainte-Beuve, le parrain d’Adèle Hugo, devient l’amant de sa mère, qui tente de rompre avec Victor Hugo, mais s’y résigne car torturée entre sa fureur et son devoir. La liberté de sa liaison face à la personnalité écrasante de son mari l’attire tellement qu’elle fait d’elle une mère instable, dévorée par ses passions, et ce sous les yeux de sa fille.

Quand Sainte-Beuve disparaît de la vie d’Adèle Foucher, c’est Juliette Drouet qui rentre dans celle de Victor Hugo. Lui, est un père tyrannique et inaccessible : il est disponible pour ses maîtresses mais très peu pour sa famille.

Adèle Hugo tisse des liens étroits avec sa sœur aînée Léopoldine, “Dédé et Didine” qu’on les appelait ; et ne se remettra jamais de sa fin tragique en 1843. C’est ensuite de son frère François-Victor qu’elle sera très proche et avec qui elle correspondra beaucoup, parlant de lui comme son “chevalier servant”.

La belle Adèle

portrait d'Adèle Hugo

Adèle se transforme en une magnifique jeune femme, surnommée “la plus grande beauté” par Balzac. Ses cheveux noirs et ses yeux sombres font l’unanimité et ses contemporains ne tarissent pas d’éloges à son sujet. Elle, de son côté, se laisse submerger par sa sensibilité, et tombe sous le charme de la peinture d’Eugène Delacroix, de la sculpture d’Auguste Clésinger, et des mots d’Auguste Vacquerie ; cependant, pas de ces hommes-là. Elle écrit même dans son journal : “Ils sont fades, incomplets : puis ce ne sont pas des hommes, car pour moi, un homme n’est guère homme lorsqu’il a du génie, de la beauté virile, et une nature de fer.

Amours croisées

L’exil à Jersey

Au début de l’année 1852, Victor Hugo est condamné à l’exil après avoir accusé Napoléon III de haute trahison. Adèle Hugo est alors âgée de 22 ans, et se voit dans l’obligation de suivre son père à Jersey. Seulement voilà, elle est une femme jeune et à l’esprit vif, et sur cette île, elle s’ennuie.

Son père a beau noter qu’ “ici on danse beaucoup, bêtement, mais l’on danse” et Adèle se rendant à toutes les fêtes, son costume de Louis XV et ses cheveux poudrés de blanc ne lui procurent pas plus de liesse. Les demandes en mariage se succèdent et Adèle Hugo devient la femme la plus courtisée de l’île anglo-normande. Un certain John Rose retiendra son attention, un temps seulement, refusant de s’engager pour un homme dont elle n’est pas “follement éprise (…). De plus, il y avait l’Autre.

La rencontre avec Albert Pinson

L’Autre c’est Vacquerie, piètre poète qui est devenu son amant, et dont le frère s’est noyé avec Léopoldine. Mais Vacquerie, elle l’oublie à l’été 1854 quand elle rencontre Albert Pinson. Pinson est un lieutenant de l’Armée de sa Majesté qui se rend régulièrement aux séances de tables tournantes et spiritisme chez Victor Hugo. Ensemble, ils ont une aventure, mais Adèle Hugo, en tant que grande sentimentale, croit au coup de foudre. Elle lui déclare sa flamme, écrivant qu’elle l’aime parce qu’il est “anglais, royaliste blond, matière, passé, soleil. (Elle n’a) pas de mérite à échauffer le feu génie mais de la gloire à faire fondre la neige.”

Adèle Hugo en proie à la solitude

L’isolement à Guernesey

Adèle Hugo Guernesey
Adèle Hugo photographiée à Guernesey à l’âge de 22 ans

En 1855, la famille Hugo s’installe à Hauteville House sur l’île de Guernesey, restant ainsi entre la France et l’Angleterre. La maison est au milieu de nulle part, posée sur une falaise et surplombant l’océan. Ce paysage menacé par le vide, digne d’une tragédie, inspire Victor Hugo dans l’écriture de ses poèmes et chefs-d’œuvres.

En revanche, pour Adèle, c’est là que commence le déclin : elle qui est une femme passionnée et d’une sensibilité remarquable, se retrouve totalement coupée du monde, envahie par la solitude. Sa mère s’en rend bien compte, mais que peut-elle faire, elle qui n’avait su affronter son mari pour demander la séparation ?

Adèle Hugo, le refuge de l’Art

Pour noyer sa déréliction, elle joue du piano ; et elle en joue très bien. Son père déteste cela et ne supporte pas les airs qu’elle exécute, mais Adèle Hugo est une véritable virtuose. Elle interprète les plus grands morceaux de Brahms, Chopin, Beethoven, Mozart… Elle compose aussi, en mettant en musique les poèmes de son père.

Sa sensibilité, elle l’applique également dans les portraits qu’elle réalise, des petites peintures à l’huile qu’elle offre lors des charités, ou des caricatures de ceux qui l’entourent. En parallèle, elle rédige le journal de Guernesey, où elle commente les allées et venues des visiteurs de son père.

Adèle Hugo, un spleen qui l’accable

Elle croule sous les idées noires, mais fait croire et se convainc que l’activité artistique remplit son temps. On dit que c’est à ce moment-là que ses troubles mentaux commencent à se faire sentir ; en réalité Adèle Hugo subit une grosse dépression.

Elle ne sort plus, ne va plus au bal et ne mange que très peu. Le 6 décembre 1856, elle sort de ses gonds et une attaque de nerfs la fait délirer 4 jours et 4 nuits. Elle se rétablit doucement et se remet au piano ; toutefois, elle n’écrit plus et reste cloîtrée dans sa chambre comme une ermite. Son médecin l’incite même à “jouer au billard” et “surmonter son dégoût du tabac”.

L’amour à sens unique avec Pinson

Le séjour à Halifax

Durant ses 11 ans d’exil, Adèle Hugo ne s’accroche qu’à deux choses : le piano, et par-dessus tout, celui avec qui elle eut une vague aventure mais qui n’a jamais quitté sa tête, Albert Pinson. Seulement voilà, cet amour n’est pas réciproque, et en 1861, Pinson lui fait comprendre qu’il ne compte pas l’épouser.

Elle tente de forcer l’union en menaçant de se jeter de la falaise, mais le militaire ne donne plus de nouvelle. Elle est déterminée à le reconquérir et fait fausse compagnie à son père en partant le rejoindre à Halifax au Canada en 1863. C’est l’occasion pour elle de se libérer de son père qui, évidemment, est fou de rage.

Un mariage imaginaire

Son frère, François-Victor, dont elle est très proche, surtout depuis la mort de Léopoldine, suit l’affaire de près et atteste de la difficile réalité : sa sœur se persuade d’une union qui n’existe pas. En effet, Adèle Hugo fait parvenir des lettres à ses parents dans lesquelles elle assure s’être mariée avec Pinson, lettre qui sera même publiée dans le journal. Mais il n’en est rien, et même si elle était persuadée qu’elle réussirait à forcer sa main, Pinson, en découvrant la presse, dément aussitôt. Elle tente même de convaincre un hypnotiseur de les marier lors d’une séance, mais ce dernier demandant une somme faramineuse, elle abandonne l’idée.

Adèle Hugo s’en va pour la Barbade

De son côté, Albert Pinson épouse Catherine Edith Roxburgh et quitte l’armée pour la Barbade. Adèle Hugo le suit là bas, arpentant les rues dans ses fourrures d’Halifax, sous un soleil de plomb. On l’aurait croisée sale, errant comme une âme en peine, une névrosée qui se balade dans la ville. Le consul de France de la Barbade écrira même à Victor Hugo qu’ “il y a une folle qui se dit être (sa) fille”.

Le retour en France

La maison de Saint Mandé

dépression Adèle Hugo

Victor Hugo est plus que mécontent et a formellement interdit à sa femme et ses enfants de lui rendre visite, mais il souhaite tout de même le retour de sa fille. Adèle Hugo n’embarque qu’en février 1872 vers la France. Il paraît qu’en rentrant, elle n’a même pas reconnu ses frères.

Son père la place dans une maison de santé pour femmes à Saint-Mandé, juste à côté du bois de Vincennes. Son internement ne devait pas être rendu public, mais il sera dévoilé en 1882, année qui marque la dernière visite de Victor Hugo à sa fille. Néanmoins, un journaliste du Figaro qui est allé la voir a déclaré qu’ “elle raisonnait correctement et se portait bien”.

Les dernières années d’Adèle Hugo

À la mort de Victor Hugo en 1885, c’est Auguste Vacquerie, son premier amant, qui reprend sa tutelle et qui la fait transférer au château de Suresnes. Là-bas, elle a droit à un pavillon et des domestiques, mais reste néanmoins enfermée.

Adèle Hugo s’éteint le 21 avril 1915 à 85 ans, et, bien que des enfants Hugo elle ait vécu le plus longtemps, sa mort passe quasiment inaperçue. Elle-même prononcera dans ses dernières heures : “Ah Dieu que mon nom est dur à porter !”, criant ainsi le poids qui pesa sur ses épaules pendant toute sa vie.

Adèle Hugo rayée de l’Histoire

Victor Hugo a largement contribué à instaurer la prétendue démence de sa fille, effaçant sa mémoire de peur qu’elle n’entache le nom de sa famille et sa réputation. L’interdiction de lui rendre visite qu’il imposa à sa femme et ses enfants, et la communication plus que limitée avec Adèle en ne répondant pas à ses courriers, en témoignent.

Adèle Hugo, pour le coup, écrivait beaucoup, mais bon nombre de ses lettres ont disparu : sur celles écrites à la Barbade, seulement 7 ont été retrouvées. Ce constat est bien étrange pour une famille aussi ordonnée et qui s’adonnait à archiver ne serait ce que le simple billet de train.

Son père, et ceux qui l’entouraient, s’apitoyaient sur le sort d’Adèle Hugo, dressant le portrait d’une femme misérable à l’esprit tourmenté. Elle, elle rêvait de liberté et se laissait dévorer par une sensibilité débordante. Incomprise et en proie à ses passions, elle appelait à l’aide, et face à une femme qui recherchait l’indépendance et l’affection, la seule réponse qu’on sut lui donner fut l’isolement et l’accablement par les “on dit”.

SOURCES

– Henri GOURDIN, Adèle, l’autre fille de Victor Hugo, Ramsay, 2003.
– Marie Louise AUDIBERTI, L’exilée, Adèle Hugo, la fille, La Part Commune, 2009.
– Henri GUILLEMIN, L’engloutie, Adèle (1830-1915) fille de Victor Hugo, Utovie, 2015.
– François TRUFFAUT, L’histoire d’Adèle H., 1975.