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Anecdotes

L’agonie de Fontainebleau

Auteur : Océane de l’Association Héritages

30 mars 1814. Cela fait un an et demi que l’Empire agonise. Alors que l’armée de la sixième coalition composée du Royaume-Uni, de la Prusse, de la Suède, de l’Autriche et de la Russie envahit la France et marche vers Paris, le commandement militaire de la capitale est confié à l’Impératrice, secondée par Joseph Bonaparte ; tandis que la direction des troupes combattantes relève du maréchal Moncey et du général Hulin. Sous la menace, Marie-Louise et son fils quittent Paris pour les bords de la Loire via Rambouillet. À partir de ce moment, les événements s’enchainent.

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Horace Vernet, La Barrière de Clichy. Défense de Paris, le 30 mars 1814, 1820, huile sur toile, Paris, Musée du Louvre

Vers 5h du matin, une première attaque a lieu. Installé à Montmartre, Joseph Bonaparte voit les régiments coalisés déferler sur la plaine Saint-Denis… Après des combats meurtriers, Paris capitule. À Juvisy, Napoléon, informé de la situation par le général Belliard, entre dans une colère noire contre son frère et décide de remonter vers la capitale pour reprendre le commandement militaire. Il faut toute la raison et la force des généraux pour l’en dissuader. L’empereur charge alors Caulaincourt des négociations avec les coalisés ; tandis que lui se dirigerait vers Fontainebleau pour préparer sa contre-offensive. Commence alors ce qu’on appelle l’agonie de Fontainebleau.

La déchéance de l’empereur : 31 mars 1814 – 11 avril 1814

L’abdication conditionnelle du 4 avril 1814

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Napoléon signe son abdication à Fontainebleau le 4 avril 1814. Tableau de François Bouchot (1843). © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

Le 31 mars 1814, Napoléon arrive à Fontainebleau avec le reste de ses troupes. Les dernières nouvelles ont mis ses nerfs à vif et lui font perdre son sang-froid : « il a l’air sombre, et la physionomie bouleversée. Il agite les bras, frappe du pied, profère des menaces d’une voix si élevée que l’on prendrait des discours pour des cris ». Prenant ses quartiers dans ses appartements intérieurs au 1er étage, le long de la galerie de François Ier, l’aigle prépare sa contre-offensive qui ne quitte pas son esprit : il convoque ses chefs militaires, donne audience au préfet de Seine-et-Marne, Adrien de Plancy, et commande au maréchal Berthier d’organiser la concentration de toutes les forces disponibles au nord de la ville. Pendant toute la journée, les réunions se succèdent, et de nombreux officiers rejoignent le quartier impérial.

Puis, le 1er avril, Napoléon réunit un conseil de guerre comptant Maret, Berthier, Lefebvre, Oudinot, Ney et Moncey. Ceux-ci penchent pour un repli sur la Loire où se trouve l’Impératrice afin d’éviter un carnage humain, mais Napoléon, obnubilé par l’idée de reprendre Paris, ne tient pas compte de la réalité de la situation, désirant même la plier à ses plans.

Le lendemain, Caulaincourt, le « diplomate du désespoir »1 , se présente devant Napoléon et s’entretient avec lui des négociations qui ont eu lieu pendant 2 jours dans la capitale. Il lui fait part du refus des Alliés de négocier avec lui, prononce pour la première fois le mot abdication qui fait tressaillir l’empereur, l’informe de la formation d’un gouvernement provisoire dirigé par Talleyrand et du rétablissement de la monarchie des Bourbons, et évoque l’Ile d’Elbe.

Au cours de plusieurs conversations, jusqu’au matin du 3 avril, Caulaincourt tente de faire comprendre à l’empereur que l’abdication reste la meilleure issue possible, mais celui-ci a toujours en tête une reprise militaire. C’est une annonce fracassante qui va précipiter les événements : Napoléon apprend que, la veille (le 2 avril), le Sénat, convoqué par Talleyrand, a voté sa déchéance. Par conséquent, l’armée est relevée de son serment de fidélité à l’Empire ; la donne change. Lors d’une énième discussion, Caulaincourt amène enfin l’empereur à abdiquer. Napoléon, résigné, cède, et donne des instructions pour négocier au nom de la régence. Il rédige pour cela un texte qu’on appelle l’abdication conditionnelle :

« Les puissances étrangères ayant déclaré que l’empereur Napoléon était un obstacle au rétablissement de la paix et de l’intégrité du territoire français, fidèle à ses principes, à ses serments de tout faire pour le bonheur et la gloire du peuple français, l’empereur Napoléon déclare qu’il est prêt à abdiquer en faveur de son fils et à e remettre l’acte en due forme au Sénat par un message aussitôt que Napoléon II sera reconnu par les puissances, ainsi que la régence constitutionnelle de l’Impératrice. A cette condition, l’Empereur se retirera sur-le-champ dans le lieu qui sera convenu.

Fait en notre palais de Fontainebleau le 14 avril 1814 : Napoléon2. »

Caulaincourt est de nouveau chargé de défendre les intérêts de l’empereur à Paris.

L’abdication définitive du 6 avril 1814

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Napoléon Ier à Fontainebleau après l’abdication – 1814 Photo © RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Daniel Arnaudet

C’est un nouveau coup de théâtre qui va changer le cours de l’histoire. Le corps d’armée du maréchal Marmont qui défendait la capitale passe à l’ennemi, rendant impossible toute tentative d’offensive sur Paris. Cette désertion met fin aux espoirs de Napoléon de négocier une régence, le Tsar Alexandre affirmant qu’il ne traitera plus avec Napoléon « ni aucun membre de sa famille ». L’empereur n’étant plus une menace, celui-ci doit abdiquer sans restriction.

Apprenant la nouvelle, Napoléon refuse de signer une abdication sans régence. C’est encore une fois Caulaincourt qui arrive à lui faire entendre raison. Accompagné de Ney et Macdonald, il se présente dans l’antichambre de l’empereur où Napoléon les rejoint, portant à la main son acte d’abdication déjà rédigé : « 6 avril 1814. Les puissances alliées ayant proclamé que l’Empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l’Empereur, fidèle à son serment, déclare qu’il renonce pour lui et ses héritiers, aux trônes de France et d’Italie, et qu’il n’est aucun sacrifice personnel, même celui de sa vie, qu’il ne soit prêt à faire aux intérêts de la France3» .

Après avoir communiqué sa renonciation, Napoléon retourne dans son cabinet pour la rédaction finale de ses instructions : Fain recopie l’acte de renonciation, signé par Napoléon et contresigné par Maret. Caulaincourt, Ney, et Macdonald retournent à Paris pour négocier le traité avec les Alliés.

Le traité de Fontainebleau du 11 avril 1814

Après de nombreuses négociations, le 11 avril 1814 vers 11h30, le traité dit de Fontainebleau est enfin officiellement signé par les représentants de Napoléon et des coalisés dans l’hôtel de Talleyrand. Ce traité comporte 21 articles dont le 1er confirme les termes de l’abdication de Napoléon du 6 avril. Celui-ci conserve le titre d’empereur, la souveraineté de l’Ile d’Elbe, et bénéficie de la modique rente de 2 millions de livres annuels dont un réversible à Marie-Louise, et 2, 5 millions pour ses proches.

C’est au matin du 12 avril 1814 que Bonaparte apprend la signature du traité. À partir de ce moment celui-ci reste la plupart du temps seul, dans ses appartements, ou dans le jardin de Diane ; et n’apparait en public qu’au moment de la revue quotidienne. Le menuisier Durand dit de lui à ce moment : « Napoléon, que sa chute exaspère, ne peut plus rester en place ; il lui faut de l’air, du mouvement ; il passe, tour à tour, de ses appartements dans le jardin de la Fontaine de Diane. Là, une baguette à la main, il frappe l’air à droite, à gauche ; il fait voler ou tomber les fleurs et les tiges des jeunes arbustes ; puis s’arrêtant tout à coup, il enfonce vingt fois de suite sa baguette dans un tas de sable destiné aux allées du jardin4».

Alors qu’on achève l’examen des candidatures de ceux qui accompagneront Napoléon à l’Ile d’Elbe (700 hommes), le palais et la ville se vident peu à peu, même la fidèle Garde commence à se retirer. Seuls les grenadiers, chasseurs et dragons restent auprès de Bonaparte.

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Armand Augustin Louis de Caulaincourt (1772-1827) Photo © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Pascal Segrette

Dans l’après-midi du 12 avril, Caulaincourt revient avec le traité à signer et rejoint Napoléon dans ses appartements : « le ton de la conversation était, comme on peut le penser, plus que sérieux ; elle était très affectueuse et, pour la première fois depuis que j’avais l’honneur d’être auprès de l’empereur, très amicale, même tendre.5» Mais celui-ci n’est pas encore prêt à signer et repousse l’échéance au lendemain matin, le 13 avril à 9h.

La nuit du 12 au 13 avril 1814, la tentative de suicide de Napoléon

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Napoléon à Fontainebleau, le 31 mars 1814 par Paul Delaroche (1840) Photo ©Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l’Armé

Alors que tout le château s’est endormi, une vague d’agitation envahit les appartements de l’empereur à 4h du matin.

Selon certains témoignages, Napoléon, après avoir bu une fiole, fait appeler Caulaincourt, le duc de Bassano et le grand maréchal Fain dans ses appartements. À leur arrivée, Napoléon les informe que « ne pouvant survivre au déshonneur de la France, il vient de se laisser aller à la faiblesse de s’empoisonner ».

Il se trouve que pendant la Campagne de Russie et depuis la campagne de 1813 en Allemagne et en France, Napoléon portait sur lui par une ganse un petit sachet de soie noire qui contenait du poison dans le cas où il deviendrait prisonnier de l’ennemi. Ce poison semble être le Condorcet dont la spécificité est de garder les traits du visage intacts. Napoléon a été élevé dans la culture de l’Antiquité. Or, le poison permet au héros grec de rester maitre de sa mort, et de décider de sa sortie de scène, à l’image de Cléopâtre ou encore de Néron.

Napoléon se tordant de douleur dans sa chambre, Caulaincourt, Maret, Bertrand et Fain envoient chercher M. Yvan, chirurgien de l’empereur, qui lui a procuré ce poison. Celui-ci concocte un vomitif.

Jusqu’au petit matin, on veille Napoléon qui alterne les moments d’égarement et de lucidité.
Une fois le poison dissipé, celui-ci aurait même prononcé ces mots : « Puisque la mort ne veut pas de moi, j’écrirai l’histoire de mes braves ».

Le lendemain matin, Napoléon signe le traité de Fontainebleau, il est désormais « L’empereur Napoléon, souverain de l’Ile d’Elbe ».

Le 20 avril 1814, les Adieux de Fontainebleau

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Les Adieux de napoléon à la garde impériale dans la cour du cheval-blanc du château de fontainebleau. MONTFORT Antoine Alphonse (1802 – 1884) © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

Après avoir rédigé ses dernières lettres à Caulaincourt et à Marie-Louise, après s’être entretenu une dernière fois avec Maret, les commissaires étrangers, et généraux Koller, Flahaut et Ornano, Napoléon se présente au son des trompettes en haut de l’escalier du Palais. Puis, appuyé sur les bras de Berthier, il descend l’escalier au rythme des tambours.

Dans la cour, il s’adresse alors à ses hommes alignés du bas de l’escalier jusqu’aux voitures près de la grille. C’est ce que l’on nomme « les Adieux de Fontainebleau » :

Soldats de ma vieille Garde, je vous fais mes adieux.
Depuis vingt ans, je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l’honneur et de la gloire. Vous vous êtes toujours conduits avec bravoure et fidélité. Encore dans ces derniers temps, vous m’en avez donné des preuves.
Avec vous, notre cause n’était pas perdue. J’aurais pu pendant trois ans livrer la guerre civile ; mais la France n’en eût été que plus malheureuse et sans aucun résultat. Les puissances alliées présentaient toute l’Europe liguée contre nous. Une partie de l’armée m’avait trahi ; des partis se formaient pour un autre gouvernement. J’ai sacrifié tous mes intérêts au bien de la patrie ; je pars. Vous la servirez toujours avec gloire et honneur, vous serez fidèles à votre nouveau souverain. Recevez mes remerciements, je ne puis vous embrasser tous, je vais embrasser votre chef, j’embrasserai aussi votre drapeau. Approchez Général, faites avancer le drapeau.6

Napoléon part pour l’Ile d’Elbe.

autrice Océane

Constance fait partie de l’Association Héritages. Pour en savoir plus, rdv sur leur site internet >

Notre autrice invitée : Océane

Après des études en droit et en histoire de l’art, je me suis orientée en politiques culturelles, mécénat et communication. Aimant la culture et l’histoire, je suis depuis quelques temps bénévole pour l’association Héritages en tant que rédactrice et chargée de réseau. Cette association permet de rendre accessible la culture, l’histoire et le patrimoine à un maximum de jeunes non seulement grâce à des articles, des posts Instagram, mais aussi des événements pendant lesquels on peut voyager dans l’histoire ! 

Sources :
Thierry Lentz, Les vingt jours de Fontainebleau, éditions Perrin, Paris, 2014
https://www.cairn.info/revue-napoleonica-la-revue-2014-1-page-25.htm consulté en avril 2021
https://www.herodote.net/6_avril_1814-evenement-18140406.php consulté en avril 2021
L’abdication de Napoléon, visites privées :
https://www.youtube.com/watch?v=MaLlkBx2A68&t=495s

Notes :
1 J.W.Rooney, « Le marquis de Caulaincourt et la politique étrangère française pendant les Cent-Jours : une diplomatie du désespoir », Revue de l’Institut Napoléon, n°149, 1987, II, p.38-56.
2 Note de J. Hanoteau, Mémoires du général Caulaincourt, 1933, t.II, p.190.
3 Thierry Lentz, Les vingt jours de Fontainebleau, éditions Perrin, Paris, 2014, p.116
4A.Durand, Napoléon à Fontainebleau. Choix d’épisodes, 1850, p.136.
5Mémoires du général du Caulaincourt, 1933, t. III, p.346.
6« Prononcé par l’empereur Napoléon, le 20 avril à 11h15 du matin dans la cour du Cheval à Fontainebleau », A.N.,400 AP 5.


3 Comment

  1. « Ce poison semble être le Condorcet dont la spécificité est de garder les traits du visage intacts. Napoléon a été élevé dans la culture de l’Antiquité. Or, le poison permet au héros grec de rester maître de sa mort, et de décider de sa sortie de scène, à l’image de Cléopâtre ou encore de Néron. »

    Néron n’est pas mort empoisonné mais il s’est suicidé en se poignardant dans le cou.

  2. Beau site très intéressant à lire. Merci. Seulement pour vous dire qu’il y a une erreur dans le texte. En effet, Néron n’est pas mort empoisonné mais s’est donné la mort en se poignardant dans le cou.

    « Ce poison semble être le Condorcet dont la spécificité est de garder les traits du visage intacts. Napoléon a été élevé dans la culture de l’Antiquité. Or, le poison permet au héros grec de rester maitre de sa mort, et de décider de sa sortie de scène, à l’image de Cléopâtre ou encore de Néron. »

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