Figure emblématique de la révolution au XXe siècle, Che Guevara s’est illustré par sa volonté de penser et agir pour un monde meilleur et égalitaire. Prêt à tout pour défendre ses convictions marxistes, il dédia sa vie à l’émancipation et l’indépendance de l’Amérique Latine, dans l’optique d’une révolution socialiste globale. Argentin à la réputation contestée, il se pose comme un homme d’action et de valeurs, fervent activiste et réformiste dans le décor de la Guerre Froide. Retour sur la vie du plus célèbre des comandantes.
Ernesto Guevara
Ernesto Guevara naît à Rosario en Argentine, au Nord-Ouest de Buenos Aires, le 14 mai ou 14 juin 1928. Son acte de naissance aurait été modifié pour que le petit Ernesto ait bien vu le jour au moins 9 mois après le mariage de ses parents.
Son père Ernesto Guevara Lynch, et Celia de la Serna, sa mère, sont issus d’une classe moyenne assez haute, apparentée à la bourgeoisie. Ils offrent à leur fils une adolescence assez confortable et privilégiée: Che Guevara joue aux échecs, au rugby, il étudie la médecine et le français.
Celui qu’on surnomme Fuser (combinaison de furibondo et du nom de famille de sa mère), nourrit déjà un esprit anti-conformiste dans cette famille qui se proclame de gauche.
Le voyage initiatique de 1951
Un Road Trip en Amérique Latine
Alors qu’il vit sa petite vie d’étudiant en médecine, Che Guevara décide avec son ami Alberto Granado de s’octroyer une pause et de partir en voyage. Alberto est biochimiste et un peu plus âgé que lui ; ils n’ont tous les deux pas encore obtenu leur diplôme, mais prennent une année sabbatique pour sillonner les routes d’Amérique Latine.
C’est sur sa motocyclette, une Norton 500 CC qu’il surnommera “la Poderosa” (la puissante), que Che Guevara s’en va en direction du Venezuela. Le guidon est en forme de cornes de taureau, et c’est un rêve de jeunesse qui se réalise. Le voyage était initialement très bien planifié : les deux amis devaient partir 3 ou 4 mois avec comme point d’arrivée le Venezuela, et seulement une étape intermédiaire dans une léproserie au Pérou.
Évidemment, l’aventure ne se passe pas comme prévue. Che Guevara doit se séparer de sa moto au Chili et poursuivre le voyage en itinérance, traversant ainsi la Bolivie, l’Équateur, la Colombie et le Pérou, pour finalement arriver seul jusqu’à Miami.
Des étapes formatrices pour Che Guevara
Ces détours imprévus vont être le tremplin de la formation politique et sociale du Che. Le voyage est marqué par plusieurs étapes importantes, notamment une première au Chili, où ils vont croiser des miniers. Che Guevara, qui d’ordinaire a le nez plongé dans les pages de Marx, se retrouve confronté à la réalité sociale qui frappe l’Amérique Latine dans les années 50, découvrant devant ses yeux la pauvreté et les inégalités. De pays en pays, Che Guevara prend conscience du panaméricanisme qui lie le continent, relevé un siècle plus tôt par Simon Bolivar. La situation sociale et politique se ressemblant dans les divers États, l’Amérique Latine doit alors être pensée comme un ensemble.
Après ce premier voyage, Che Guevara décide de rentrer en Argentine pour y terminer ses études et se sécuriser avec un diplôme. Néanmoins, il a déjà un prochain séjour en tête, cette fois-ci plus politique et au contact même des militants. Che Guevara en est convaincu: il est grand temps de conjuguer carnets de voyage et livres de Marx, et de passer à la pratique.
1953, Che Guevara en quête de ralliement
Dichotomie en Bolivie
En 1953, soit deux ans après son premier circuit, Che Guevara reprend la route en direction de la Bolivie, alors sous le joug d’un régime assez autoritaire. Sur place, il va rencontrer des activistes du Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (MNR) local. Il participe à leur lutte à l’été 1953, et après une longue agitation, le soulèvement commence progressivement.
Mais c’est une déception : le plan de révolution s’avère inefficace et Che Guevara ne se sent pas réellement en phase avec ces militants. Ce mouvement pourtant à conviction sociale fait preuve de nombreux problèmes d’intégration et de discrimination, sur un continent qui porte différentes origines qu’elles soient afro-américaines, métisses ou des populations encore très européennes. Une sorte de hiérarchie ethnique divise alors la société, certaines minorités dévalorisées voire totalement mises de côté même dans les mouvements de gauche.
Le séjour au Guatemala
Face à l’échec de son premier objectif, Che Guevara quitte assez tôt la Bolivie pour poursuivre son périple. Il repasse par les endroits qu’il a découvert en 1951, et arrive au Guatemala, où la situation retient son attention bien que les idées ne correspondent pas totalement aux siennes. Après tout, maintenant que ses études sont terminées, il peut ne pas rentrer tout de suite en Argentine !
Che Guevara va donc être témoin de ce qu’il se passe au Guatemala et va se rendre compte d’une certaine dépendance des pays d’Amérique Latine vis-à-vis des Etats-Unis. La plupart des régimes en place à ce moment-là sont des régimes autoritaires, alliés commerciaux et diplomatiques des USA.
Premiers pas politiques
Au gouvernement guatémaltèque est arrivé, il y a deux ans, Jacobo Arbenz Guzman. Dirigeant de gauche et plutôt populiste, il prône une grande réforme agraire et une émancipation du Guatemala de l’influence américaine. Che Guevara va venir observer cela de plus près et se faire recruter comme médecin au gouvernement.
Arbenz s’oppose à la pression des Etat-Unis sur son pays en s’attaquant à la United Food Company : jusqu’alors, 40% des terres cultivées du Guatemala appartiennent à cette grosse compagnie agro-alimentaire. Seulement, le siège de cette firme est assez proche du président américain de l’époque, Dwight Eisenhower, et Arbenz se retrouve dans une position délicate. Che Guevara sera témoin du coup d’État orchestré par la CIA pour faire tomber l’opposant de gauche, et ces expériences vont d’ores et déjà forger son esprit révolutionnaire.
Au Guatemala, il fera beaucoup de rencontres dont sa première femme, Hilda Gadea, qu’il épouse en 1955. Elle est une économiste péruvienne, militante et avec beaucoup de contacts politiques au sein de l’Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine (APRA). Dans les révoltes civiles qui suivent l’abdication d’Arbenz, Hilda Gadea se fait arrêter, tandis que Che Guevara se réfugie à l’ambassade argentine. On lui propose un billet retour tous frais payés pour Buenos Aires, qu’il décline.
Che Guevara prend les armes aux côtés de Castro
Le changement par la force
Le 27 juin 1954, le putsch planifié par la CIA opère : l’armée guatémaltèque croit que les bombardiers qui survolent la capitale annoncent l’invasion américaine. Quelques jours plus tard, Arbenz renonce à ses fonctions et ce sont Carlos Castillo Armas et ses rebelles, armés par les agents de la CIA, qui prennent le pouvoir. C’est un coup d’État réussi facilement et sans trop de sang versé, qui permet à la United Food Company de récupérer les terres, et au nouveau gouvernement d’interdire les partis politiques et les syndicats, et de retirer le droit de vote aux illettrés.
Che Guevara se rend compte de la volonté impérialiste des américains dans la fin de sa formation politique. Lui qui théorise beaucoup, tient des carnets et réfléchit constamment, en arrive finalement à la conclusion suivante: il faut attaquer par les armes.
Che Guevara rejoint le M26
Après le renversement, il décide de partir pour le Mexique pour rejoindre ce mouvement du M26 dont on lui a parlé au Guatemala. La petite organisation rassemble des exilés cubains du mouvement du 26 juillet 1953. Parmi eux, Che Guevara va d’abord rencontrer Raùl Castro, puis son grand frère Fidel.
À Cuba, face à la dictature de Fulgencio Batista, le groupe de rebelles a tenté la riposte. Ce n’était pas vraiment un putsch, mais plutôt une tentative d’attaque de l’armurerie d’une caserne. Les militants voulaient profiter du carnaval de Santiago de Cuba pour s’emparer des armes entreposées et les redistribuer aux civils, dans l’optique d’une révolution. Le projet n’a pas du tout fonctionné, lorsqu’ils se sont retrouvés confrontés à des gardes bien plus équipés qu’eux. Une partie des hommes se fera tuer, l’autre sera emprisonnée.
Après l’échec de cette opération, les cubains attendaient l’arrivée d’un homme providentiel pour sortir leur île de cette tyrannie.
Che Guevara et Fidel Castro, la bonne entente
Che Guevara et Fidel Castro deviennent le binôme emblématique de ce souffle révolutionnaire à Cuba.
Le Che est allé de déceptions en déceptions sur la politique, lorsqu’il s’est retrouvé confronté à la réalité. C’est surtout intellectuellement qu’il est politisé : il a lu et a observé, mais n’a pas encore agi. Celui qu’on considère comme un “gaucho” (un cowboy) a des idées et veut suivre quelqu’un en mesure de les appliquer.
Fidel Castro, lui, est un homme d’action, très charismatique et qui n’a pas eu peur de s’attaquer à une institution alors qu’ils n’étaient qu’une cinquantaine. Il serait prêt à recommencer et n’a pas perdu la ferveur de s’ériger contre l’oppression.
L’arrivée à Cuba
Le débarquement
Cette fois, c’est décidé: le M26 va reprendre Cuba. En 1956, ils partent à 82 sur un bateau en direction de l’île, et prévoient de s’installer dans la montagne de la Sierra Maestra pour s’entraîner, recruter des hommes et faire grossir leur mouvement ; en clair, préparer la révolution. Sur place, des alliés de la seconde branche du M26 les attendent. Frank Pais a commencé à former un réseau de guérilleros, plus proche de la ville.
Cuba est un pays alors essentiellement agricole, et la question de l’indigénat et du racisme est encline aux discordes populaires ; sans compter la mainmise très importante des Etats-Unis, issue de la proximité géographique des deux pays. Préparer le renversement en ville n’étant pas envisageable, le M26 veut partir de la campagne, où les mentalités sont les plus arriérées. L’objectif est aussi, avant tout, social, puisqu’on veut éduquer le peuple et le rendre actif dans sa propre révolution.
Ils débarquent en novembre 1956, Che Guevara venu officiellement comme médecin. Le réseau n’est en réalité composé que d’une centaine de personnes, mais s’inscrit déjà dans la nouvelle optique marxiste du Che : il n’est pas nécessaire de créer un grand parti de masse pour réformer le système.
Cependant, dans une période où l’espionnage est omniprésent, le gouvernement de Batista est mis au fait de l’arrivée des rebelles. Le M26 est attendu sur le port et se fait cueillir par les autorités cubaines. Ils tombent dans le piège et seulement 12 d’entre eux survivent au débarquement.
Comandante Che Guevara
Fidel Castro, qui a déjà connu la prison de Batista, ne souhaite pas réitérer l’expérience et parvient à s’enfuir dans la Sierra avec son frère Raùl, Che Guevara et les 9 autres rescapés. Sur place, ils recrutent des guajiros, paysans locaux qui eux aussi refusent de crouler sous le pouvoir de la dictature. Le réseau grossit doucement, passant à 128 hommes en 1957.
Fidel et le Che se séparent pour former deux colonnes, mais laisseront entendre qu’ils en ont constitué quatre. Che Guevara, qui est arrivé comme médecin, suit un entraînement militaire très intensif et se retrouve propulsé au plus haut grade de commandant très rapidement. C’est par cette confiance qu’on lui attribue la tête de la colonne.
Ernesto Guevara n’est pas cubain, et c’est à ce moment-là que son célèbre surnom lui est donné. Lui qui, par son accent et ses tics de langage, a pris l’habitude d’appeler ses hommes avec l’interjection argentine “Che” (mec), on lui rend la pareille et la légende commence à se construire autour de Che Guevara.
Che Guevara et le M26 préparent le terrain
Une conquête qui traîne
Dans les années 1956-1957, on entre dans la période qui va doucement mais sûrement amener Fidel Castro et Che Guevara au pouvoir. Toutefois, cette conquête est lente et laborieuse, et elle s’étale sur plus de deux ans et demi. Il faut dire que les conditions ne sont pas des plus optimales: ils vivent dans la montagne humide semblable à une jungle, Che Guevara est asthmatique et ne jure que par les cigares !
C’est une stratégie qui est, bien entendu, progressive. Le M26 est arrivé à 12, et s’attèle à réaliser des petites opérations pour gagner du monde et se faire accepter de la population. Des terrains militaires sont installés un peu partout pour garantir l’entraînement physique des guérilleros.
Ces manœuvres ne sont pas réalisées dans la clandestinité totale: certes les militants sont tapis dans la Sierra, mais Batista sent que quelque chose se prépare. Sans cesse, des militaires armés viennent les chasser ; les traîtres et les espions sont à déceler au sein même des colonnes. Les rebelles doivent donc gagner en confiance à la fois en interne et en externe.
Che Guevara, un leader qui divise
Les guérilleros trouvent leur comandante sévère, lui qui n’hésite pas à abattre sur le champ les traîtres de son propre camp; mais le voient aussi comme un homme de principes. Certains admirent son honnêteté, d’autres demandent à se faire muter dans une autre colonne. Au-delà d’un chef militaire, Che Guevara incarne des idées et un discours sensible pour ses troupes.
Avec ses prisonniers aussi, Che Guevara a des valeurs et une certaine considération pour ceux qui n’ont pas vraiment choisi d’être là. Il ne veut pas tous les tuer, simplement les enfermer. Son éthique de dignité très appréciée le pousse à autoriser des repas aux prisonniers de guerre de Batista, tandis que les traîtres n’avaient, eux, aucun traitement de faveur.
La stratégie idéologique
Pour gagner la confiance des populations locales, Castro et Che Guevara vont s’adonner à structurer les communautés suivant leurs nouvelles idées. Ils vont alors prendre la main sur les villages et vont commencer par s’occuper du souci de l’éducation des masses. Lorsque leurs petites opérations réussissent, ils viennent créer des bases disciplinaires où l’on alphabétise les paysans cubains, une boulangerie, un hôpital… C’est en quelque sorte un système donnant-donnant qui se met en place : les guérilleros éduquent les populations en échange de leur service dans la lutte.
Les médias commencent aussi à occuper une place importante dans la perspective d’une contre-propagande. En février 1958 est créée la Radio Rebelde, aujourd’hui encore la radio officielle de Cuba. Dans ce fin fond de la jungle, on installe un poste TSF qui permet non seulement de communiquer avec les autres colonnes, mais aussi de diffuser les idées de la révolution aux populations locales.
Alors qu’ils ne sont encore qu’une petite centaine dans la montagne cubaine, des journalistes du New York Times ou bien de médias français viennent toutes les semaines pour interviewer Fidel Castro, figure de proue du mouvement. Che Guevara devient la coqueluche des reporters et participe à son tour à la notoriété du réseau.
Che Guevara, Castro et Batista : le match politique
Fidel Castro prend la tête du M26
En 1958, alors que les grands chefs du M26 se réunissent, on assiste à un retournement au sein même du mouvement. La branche rurale, les guérilleros, Fidel et le Che ont pris l’ascendant sur les sections urbaines, se montrant bien plus efficaces et moins modérés. Fidel Castro réussit à les mettre un peu de côté et à prendre le dessus en devenant le dirigeant légitime du M26.
Alors que Batista s’apprête à se défendre, les rebelles ont déjà doublé leurs effectifs. Immédiatement et un à un, les différents leaders de l’opposition vont se rattacher à Fidel Castro, que l’on considère désormais comme le plus à même de faire tomber la dictature.
L’autorité de Batista riposte
Batista commence à sentir que les rapports de force sont en train de changer, et décide d’envoyer son armée. En réalité, il n’a que deux options devant lui: riposter avec autorité et violence, ou espérer obtenir de l’aide de la part des Etats-Unis. Alors que le continent lui tourne le dos, Batista lance les opérations en mai 1958.
L’armée cubaine s’en va en guerre dans la Sierra, mais se fait repousser par les guérilleros, bien moins nombreux. Mauvaise organisation ou appui de la population locale ? Toujours est-il que la milice de Batista se retire dès le mois d’août, trois mois seulement après le début de la riposte. Elle ne parviendra même pas à emprisonner les guérilleros, si ce n’est deux ou trois isolés, et laisse alors dans les mains de Fidel Castro une nouvelle carte à jouer.
La bataille de Santa Clara
Face à cette tentative offensive du dictateur, les troupes castristes répondent présents à la contre-attaque en décembre 1958. L’armée de Batista est vulnérable, c’est donc le moment opportun pour les guérilleros d’avancer et sortir de la montagne. Leur cible est une ville clé sur la route de la Havane : Santa Clara. Batista en a conscience et décide une nouvelle fois d’envoyer un train blindé qui, en dépit de ses quatre wagons-restaurants, transporte surtout des hommes et leurs armes.
Toutes les forces castristes sont jetées sur la bataille de Santa Clara et autour du train. Ce sont 364 guérilleros munis de deux ou trois fusils et quelques cocktails molotov, qui s’apprêtent à affronter 3200 soldats du corps étatique, lourdement armés. La colonne chargée de l’opération est celle de Che Guevara, et il a confiance en ses hommes qu’il a entraînés depuis plusieurs années déjà. En minorité, les guérilleros parviennent à faire dérailler le train, s’emparer des armes des soldats de Batista, qui bientôt prennent la fuite. Che Guevara est immédiatement reconnu et nourrit une visibilité auprès de la population cubaine, continuant d’émanciper sa réputation.
Renversement imminent
Après sa défaite à Santa Clara, Batista sent que la situation est en train de dégénérer. Il n’a pas l’appui des Etats-Unis qui voient le dictateur et son pouvoir se détériorer, et lui suggèrent de mieux s’entourer. Ployant sous le joug de la rébellion, Batista délaisse son poste et s’en va en retraite en République Dominicaine, où il deviendra par ailleurs un adepte du catch américain.
Il se passe environ deux ans et demi entre l’arrivée sur le sol cubain et le moment où Batista abdique. Fidel Castro lance un appel à la grève et réquisitionne la population pour enclencher la révolution. Un nouveau gouvernement va s’installer en 1959 mais la situation n’est pas une mince affaire : la dépendance totale vis-à-vis des Etats-Unis, le système industriel…tout est à changer, et c’est une mission qui s’annonce compliquée.
Che Guevara en poste au gouvernement castriste
Che Guevara impose sa justice
Avant d’arriver réellement au pouvoir, Che Guevara va être associé au titre de procureur de la prison de Cabanya. Sa morale révolutionnaire très exigeante accélère les procès, et son sang-froid délibère du sort des divers opposants à la réforme. Certains le voient comme un justicier qui purge les soutiens du régime, d’autres comme le Robespierre de Cuba ; toujours est-il que Che Guevara assumera cette logique, qui pour lui s’inscrit dans le mouvement de la révolution.
On lui donne par la suite accès à d’autres fonctions, plus importantes. Il intègre le gouvernement avec son partenaire Fidel Castro, et se voit nommé président de la banque centrale et ministre de l’industrie. Par ailleurs, l’influence de Che Guevara est telle qu’on en vient à créer un nouvel article dans la Constitution cubaine, qui autorise les citoyens étrangers nommés commandants et qui se sont battus pendant la révolution à occuper des fonctions ministérielles.
Che Guevara, acteur majeur du nouveau régime cubain
Comme il a pu l’observer au Guatemala, Che Guevara va prendre en charge la réforme agraire à Cuba, qui a pour objectif la redistribution égalitaire des terres aux paysans. Pour se donner une nouvelle idée du projet, il se rend au Japon. Le choix peut paraître étonnant, mais après la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis ont opté pour une réforme agraire des terres vaincues. Celle du Japon est allée encore plus loin, mais Che Guevara est convaincu qu’il peut s’en inspirer pour Cuba. Il est également nommé ministre de l’industrie, et souhaite baser l’économie cubaine sur un revenu industriel plutôt qu’agricole.
Che Guevara défendra également les couleurs de Cuba aux réunions des Nations Unies. Grand orateur, il ne perd pas de vue son idée de révolution globale et de justice sociale, alors qu’il demande aux plus petits pays comme Malte ou la Zambie de rester parmi les non-alignés de la Guerre Froide. Par souci d’idéologie, et grâce ou à cause de Che Guevara, Cuba se rattache à l’URSS. La domination américaine risque de les écraser, et ça, le Che le sait.
Che Guevara, cubano exemplaire
C’est une nouvelle vie qui s’offre au M26 ; il faut dire qu’après quatre ans de guérilla dans la Sierra, le changement est drastique. Néanmoins, Che Guevara n’en demande pas trop, passant des camps militaires à la vie de fonctionnaire dirigeant. Il crée une agence de presse internationale, la Prensa Latina, ainsi qu’un journal, le Verde Oliva.
Che Guevara est un peu l’homme à tout faire du régime castriste, présent sur tous les fronts. Son poste de directeur de la banque centrale peut surprendre car ce n’est pas du tout un économiste, lui qui a même voté pour l’abolition de la monnaie. Fidel Castro sait toutefois que c’est un très bon orateur, brillant en diplomatie et doté d’une certaine aura. On place donc le Che à des postes clés afin de défendre politiquement et à l’international les positions de Cuba.
Che Guevara dresse le portrait d’el hombre nuevo (de l’homme nouveau) dans une lettre adressée à Carlos Quijano en 1965, citoyen modèle d’une société utopique. Dans le cadre de la révolution, on met en place le travail volontaire pour donner un coup de main à l’industrialisation. Che Guevara est un travailleur acharné, et va montrer l’exemple en allant à la mine, sur les bateaux, etc.
Che Guevara, révolutionnaire intransigeant
Sous la pression de la Guerre Froide
Il ne faut pas oublier que cette révolution se déroule sur un fond de Guerre Froide, qui dure déjà depuis 1949. Le bras de fer entre Cuba et les Etats-Unis s’enclenche en conséquence de la proximité géographique des deux pays, la distance idéologique, et le passage à un régime socialiste à Cuba, garantissant l’abolition de la mainmise américaine.
En 1961, la CIA tente un coup d’État raté qui se résume à l’épisode de la Baie des Cochons. Un an plus tard et à la demande de Che Guevara, des rampes de missiles sont installées à Cuba en direction des Etats-Unis. En cas d’attaque, les cubains seront en capacité de riposter, et garantissent ainsi un rééquilibrage dans le conflit. Che Guevara n’a pas peur de le dire: sa détermination l’emmènera jusqu’au bout de la guerre s’il le faut.
Alors que Cuba s’est allié aux soviétiques, Kroutchev décide de faire retirer les missiles, sans en avertir ni Castro, ni le Che. Au dépend de l’URSS, commence alors un ralliement vers la Chine, qui tente aussi de trouver une réforme agricole et culturelle.
En 1962, les Etats-Unis imposent un embargo sur Cuba, isolant totalement les habitants et freinant considérablement le commerce. Cuba encerclé, les agriculteurs et les industriels ne peuvent plus vendre à côté de chez eux.
Aux réunions de l’ONU, Che Guevara défend les intérêts de Cuba. En décembre 1964, il présente un célèbre discours, déterminé à préserver la politique cubaine qu’ils ont mis tant de temps à mettre en place. Afin de prévenir les risques d’invasion du pays, il demande que les Etats-Unis n’aient pas de droit de contrôle sur les armes qui passent la frontière cubaine. Che Guevara se montre ferme, jugeant que l’embargo est arbitraire et illégal ; le gouvernement castriste veut la paix et se battra pour elle : ¡Patria o muerte!
Che Guevara, l’envie d’agir
Si au début de sa carrière politique il était surtout un théoricien, Che Guevara sait dorénavant que sa conviction doit être exprimée par des actes. Ne s’éloignant pas de ses premières idées et du concept de panaméricanisme, il garde en tête qu’une révolution doit se propager sur tout le continent pour être efficace. Seulement, dans les pays voisins, le feu ne prend pas : des petites guérillas voient le jour dans plusieurs États, notamment en Argentine où on se réclame de lui, mais rien de bien concluant.
On pourrait penser que Che Guevara a accompli sa quête de ralliement à Cuba, mais sa ferveur révolutionnaire le pousse à quitter l’île en 1965. Le Che montre déjà des signes d’insatisfaction, après cet épisode contentieux avec l’URSS et seulement trois ou quatre ans au pouvoir. Les rumeurs sur la discussion de Che Guevara et Fidel Castro s’alimentent de supposées querelles, de longues heures de conversation…Mais pour le Che, Cuba n’est qu’une étape, et il ne perd pas de vue l’objectif d’une révolution globale. Il décide alors de passer de l’autre côté de l’Atlantique et s’en va en direction de l’Afrique.
Che Guevara tente la révolution au Congo
Dans sa pensée, Che Guevara assume que la lutte anti-impérialiste n’a pas de frontières, et l’Afrique en est le maillon faible. Sous le poids de la domination colonialiste pendant des siècles et en y associant ses théories marxistes et tiers-mondistes, Guevara voit s’offrir à lui une chance de faire la même chose qu’à Cuba, si ce n’est en mieux.
Avant d’arriver sur le continent, il se rend un peu partout. Le Che rencontre d’abord Ben Bella en Algérie, qui vient d’obtenir son indépendance ; il visite la Chine, l’Europe et ira même jusqu’à Moscou. Bien qu’aujourd’hui son trajet ait été reconstitué, à l’époque, pendant deux ans, on perd sa trace. Sachant que Che Guevara est passé à l’ONU et à la télévision, il se fait faire des faux passeports, une teinture, une nouvelle coupe et des lunettes pour s’éloigner de la vie politique.
Il arrive ensuite à Brazzaville au Congo, où l’expérience sera rapide et peu concrète. Che Guevara se rallie à la guérilla locale, mais celle-ci présente des discordes au sein même de son réseau. Pourtant dans le cadre d’une révolution socialiste, les leaders sont en rivalité et ne tiennent bientôt plus compte de la population. Le Congo est un échec, le Che repart pour l’Amérique du Sud.
Che Guevara, la fin en Amérique Latine
La Bolivie : dernier acte
S’il avait pu, Che Guevara aurait tenté la révolution sur sa terre natale d’Argentine, mais la puissance de l’armée le bride. Il se rend en Bolivie, là où son épopée de militant a commencé, un retour à la case départ qui annonce aussi la fermeture de la boucle.
Arrivé là-bas, il tente de se rallier au parti communiste, proche de l’URSS. Seulement, les boliviens de gauche ont entendu parler du Che et de ses méthodes, et n’ont pas très envie qu’il prenne part à leurs affaires. Cette tentative, probablement celle de trop, sonne le glas pour Che Guevara, alors qu’il est dénoncé. Naïveté ou mauvais entourage, le Che se fait retrouver et capturer.
On ne sait pas exactement quel rôle ont joué les États-Unis et la CIA, ni celui de l’armée bolivienne qui n’était pas la plus performante d’Amérique latine. Au vu de la popularité de Che Guevara, aucun procès n’est préparé pour ne pas faire trop de vagues, et on décide une solution plus radicale le 9 octobre 1967.
Les adieux au Che
Le 15 octobre 1967, après une semaine d’hésitation, Fidel Castro organise une conférence de presse à la Havane, retransmise à la télévision. C’est avec une voix remplie de sanglots qu’il annonce que “les nouvelles sur la mort du commandant Ernesto Guevara sont douloureusement vraies.” La figure de la révolution est décédée d’une balle dans la tête à 39 ans, et c’est tout une nation qui est meurtrie par la perte de ce leader utopiste.
Son corps est exposé, et Castro demande à la jeunesse de continuer à se battre pour accomplir l’idéal révolutionnaire de Che Guevara. Les petits pioneros cubains commencent à appliquer la consigne, levant le drapeau national tous les matins en scandant “Pioneros por el comunismo, ¡seremos como el Che!”.
Théoricien et praticien de ses idées, Che Guevara s’est illustré par sa ferveur révolutionnaire et sa volonté de se battre pour défendre les droits du peuple. Dans le mouvement de la Guerre Froide et sur l’île la plus en crise, il amène le changement et la fin de la tyrannie, en faveur d’une justice sociale et économique. Che Guevara s’inscrit dans la culture populaire, tant par le célèbre portrait que capturera Alberto Korda, que par la chanson “Hasta Siempre” de Carlos Puebla, en remerciement des bons services du Che pour Cuba. Insufflant l’esprit du changement chez la jeunesse, il devient le symbole du soulèvement populaire face à l’oppression des magnats, et de la lutte pour un monde meilleur.
Sources
– Carlos Puebla y la historia de la canción Hasta Siempre, V. Pérez Galdós Ortiz, Radio Rebelde, 2008
– Coup d’État de 1954 au Guatemala : une opération téléguidée par la CIA, M. Désautels, Radio Canada
Cuba, l’utopie réalisée, J. Machover, 2004
– Discours de Mr. Che Guevara devant l’Assemblée des Nations Unies le 11 décembre 1964, ON
– Inicio del Movimiento 26 de julio para derrocar el régimen golpista dictatorial de Fulgencio Batista en Cuba, CNDH México
– La Pensée du Che et les Processus Actuels d’Émancipation en Amérique Latine, J. Ortiz et M. Nicolas, Recherches Internationales, 2012
– Podcast Culture 2000 “Che Guevara” – Fréquence Moderne