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Anecdotes

La folle histoire du Printemps, célèbre magasin parisien

Auteur : Ivan Boquet

Après un bref épisode hivernal inattendu, la douceur du printemps est enfin de retour. Les arbres se chargent de verdure, les fleurs s’ouvrent, les jours rallongent, les températures augmentent. Il est donc presque naturel de parler de l’un des plus impressionnants Grands Magasins parisiens : Le Printemps. Impressionnant, il l’est par son architecture extérieure et intérieure mais aussi par son récit riche en rebondissements. Son histoire est aussi la nôtre puisqu’il est le reflet des différentes évolutions de la société française, et ce depuis le XIXè siècle.

Revenons donc à une époque où le confinement n’existe pas et où les boutiques et magasins, essentiels ou non, sont tous ouverts. Dans le Paris et la France du XVIIIe siècle, les échoppes ne sont pas très attrayantes pour plusieurs raisons.

Faire les magasins dans le Paris du XVIIIè siècle

Tout d’abord, on ne peut y acheter qu’une seule sorte de produit du fait des lois corporatives qui existent dans la société française de l’Ancien Régime. Par exemple, il est impossible de trouver un chapeau chez un bonnetier ou un bonnet chez un chapelier. Ces lois qui existent depuis le Moyen-Âge et doivent protéger les professions de la concurrence, sont abolies en 1791 avec la loi Le Chapelier. Dès lors, on peut trouver différents articles chez un même vendeur.

commerce paris

Néanmoins, et c’est le deuxième problème des boutiques à l’époque, les prix des marchandises ne sont pas affichés. C’est un peu « à la tête du client » et en fonction des stocks disponibles. D’ailleurs, cela peut s’avérer très problématique dans la mesure où lorsque l’on rentre dans un magasin, il est indispensable d’acheter un produit. Autant dire qu’à l’époque, le client n’est pas roi.

Enfin, le dernier aspect négatif du shopping en cette fin de XVIIIè siècle et début de XIXè siècle, c’est l’aspect des boutiques. Celles-ci sont généralement poussiéreuses, sombres car situées dans des rues étroites et insalubres du fait de l’aspect moyenâgeux du vieux-Paris.

Les passages couverts, ancêtres des centres commerciaux

passage couvert paris
Gravure Passage des Princes ©Editions du Mécène

Avec la fin des soubresauts révolutionnaires et impériaux, on assiste au début des années 1820 à un retour de la croissance économique et de la prospérité bourgeoise. Cela ne tarde pas de faire augmenter les prix de l’immobilier parisien. Aussi, afin de continuer leurs affaires, à moindre coût, les promoteurs ont l’idée d’exploiter les espaces vides, comme les ruelles entre les ilots d’immeuble. Pour donner un aspect léché et luxueux à ces anciens chemins quelconques, les façades de ces ruelles sont homogénéisées et richement décorées en plus d’être surmontées de verrières permettant un éclairage naturel et zénithal. C’est la naissance des passages couverts. Ils regroupent des boutiques diverses et indépendantes les unes des autres. Ce sont les ancêtres des centres commerciaux actuels. Ces espaces sont presque exclusivement réservés à l’élite qui peut s’adonner à des achats sans être dérangée par les mendiants, importunée par les intempéries et peut aussi se protéger des maladies comme les épidémies de choléra.

Les belles artères favorisent la naissance des Magasins de Nouveauté

Toutefois, ces passages couverts ne sont pas bien entretenus et tombent rapidement en désuétude dans les années 1840. Sous la IIème République (1848-1852) et le Second Empire (1852-1870) on assiste à une augmentation de travaux d’assainissement des rues de Paris et de percement des avenues. Cela permet une meilleure circulation des capitaux, de la lumière et de l’hygiène dans les rues qui ne tardent pas à attirer les magasins qui veulent à présent avoir pignon sur rue. Apparaissent alors des bâtiments plus amples : les magasins de nouveautés. Ce sont des bâtiments à l’intérieur desquels on trouve des articles de literies et de mode pour ces dames. L’un d’eux est notamment Le Bon Marché, fondé en 1838.

La Révolution Industrielle permet l’éclosion des Grands Magasins comme le Printemps

magasin Bon Marché Paris

Puis, avec le contexte socio-économique de la Révolution Industrielle, on assiste à la naissance du Grand Magasin. C’est un bâtiment dont la surface de vente est encore plus importante que celle des Magasins de Nouveauté et où l’on trouve tout ce qui fait l’art de vivre bourgeois, en grandes quantités et à bas prix. Cela est permis grâce à la production de masse dans les ateliers et usines de confection du Nord de la France qui permet de baisser les prix, donc de vendre plus et enfin de produire plus. C’est le cercle vertueux de la croissance économique. Enfin, ces quantités astronomiques de produits sont acheminées vers les lieux de consommation comme les grandes villes et Paris grâce aux voies de chemin de fer. Une fois exposés dans les Grands Magasins, les produits sont consommés par une élite grandissante qui a besoin de montrer sa réussite en achetant, dans une capitale qui s’urbanise, s’embellit et voit s’accroitre la concurrence entre Grands Magasins.

Aussi, soucieux de se démarquer, Le Bon Marché, dont nous parlerons plus amplement dans un prochain article innove pour fidéliser ses forces de vente mais aussi ses clientes. En effet, leurs prix sont bas (puisqu’on l’appelle Le Bon Marché), ils sont fixes et affichés, c’est à dire qu’ils ne sont plus déterminés en fonction de la tête du client. De plus, les produits que l’on achète sont satisfaits ou remboursés ! Pour les chalands les plus éloignés, un catalogue de vente par correspondance et un service de livraison est même proposé. Pour écouler les stocks des collections passées, même après Noël lorsque le porte-monnaie est vide, on crée les soldes d’hiver. Pour attirer le chaland dans la fournaise estivale des Grands Magasins non climatisés, on instaure les soldes d’été. Enfin, pour faire patienter ces messieurs qui seraient lassés des achats infinis de leur dame, des salons de lecture sont imaginés pour leur permettre de se relaxer.

C’est au Bon Marché que l’idée du Printemps germe

Le succès commercial de la désormais célèbre enseigne de la rive-gauche fait déjà des envieux et notamment au sein de ses employés. En effet, le responsable du rayon des soieries, Jules Jaluzot, rêve de fonder sa propre enseigne. Il est d’ailleurs tombé amoureux d’une des très fidèles clientes du Bon Marché, Augustine Figeac, sociétaire de la Comédie Française qui possède alors une belle dot. Après leur mariage, et sur les conseils avisés de son époux, elle achète un terrain et fait construire un immeuble dans un quartier désert mais prometteur. Il s’agit en fait des abords de la gare Saint-Lazare ! Proche de cette dernière, le Grand Magasin serait à proximité directe des livraisons ferroviaires, donc des marchandises, mais également tout près du futur opéra en construction, proche de la Madeleine, l’une des paroisses les plus huppées de Paris. Enfin, il serait situé à l’orée des beaux quartiers du VIIIe arrondissement.

Les bourgeons du premier Printemps

printemps 1865
Le Printemps en 1865

Le Grand Magasin ouvre en 1865 et se nomme « Au Printemps » car « tout y est nouveau, frais et joli ». Pour l’occasion, c’est même le curé de Saint-Louis d’Antin, la paroisse voisine, qui bénit l’enseigne. Mais ne vous y trompez pas, le magasin de l’époque n’est pas si grand. Il n’occupe en réalité que le sous-sol, le rez-de-chaussée et le premier étage du coin de rue construit par Augustine Jaluzot. Toujours est-il que pour grandir, il faut fidéliser les clientes et Jules a l’idée d’offrir en main propre un bouquet de violettes, à chaque début de printemps, aux élégantes. Rapidement, il loue d’autres étages et parties de l’immeuble dans les années 1870. Mais le 9 mars 1881, un incendie se déclare dans le magasin du fait d’un bec de gaz mal éteint. De multiples explosions se déclarent et le bâtiment est totalement détruit. Augustine, marquée par la catastrophe et souffrant d’une dépression décède en 1883.

incendie magasin printemps 1881
Incendie des magasins du Printemps – mars 1881 / Dessin de M. Gaildrau

Le Printemps de la Belle Époque

La même année, Jules ne se laisse pas abattre et ouvre un nouveau magasin encore plus grand, plus beau et luxueux. Pour attirer les chalands, il faut qu’il soit visible de loin. C’est pour cela que ses toits sont recouverts d’or. Pour ravir la vue, les façades sont richement ornées de fleurs et fruits divers, symboles de printemps et de prospérité. Rapidement, avec ses tours et vitraux polychromes, Zola qualifie l’enseigne de cathédrale du commerce.

À l’intérieur tout est imaginé pour impressionner. La légèreté prévaut grâce à une armature en fer et une enveloppe en verre qui sont les matériaux fétiches de la Révolution Industrielle. Une fois l’entrée franchie, toute de couleurs et de mosaïques vêtue, les clients pénètrent dans un vaste hall surmonté d’une nef centrale dont les escaliers et les balustrades semblent s’envoler en s’entrecroisant. La lumière zénithale permet de mettre en valeur les marchandises et toute cette impression de plénitude incite forcément à l’achat. On installe même l’électricité pour attirer toujours plus de curieux ! D’ailleurs, l’usine de production électrique, au sous-sol devient même une attraction. Cette innovation doit permettre d’éviter les terribles incendies.

D’un Printemps Art Nouveau …

hall art nouveau

Ces investissements et innovations permettent au Printemps de grandir et de se faire une place pérenne sur le boulevard Haussmann. Mais les affaires sont aussi florissantes du côté des concurrents, notamment des Galeries Lafayette voisines. Aussi, pour éviter leur propagation, Jules Jaluzot décide de racheter tous les pâtés de maison. Néanmoins, une grave crise économique touche l’Europe au début des années 1900 et le fondateur doit démissionner. Son remplaçant, Gustave Laguionie désire donner un nouveau souffle à l’entreprise et modernise l’existant notamment en demandant un nouveau dessin pour les escaliers du bâtiment de 1883. Ces derniers sont imaginés en 1906 par l’un des grands noms du design de l’époque : René Binet qui a dessiné la porte d’entrée monumentale de l’Exposition Universelle de 1900.

De plus, Gustave entreprend la construction d’un nouveau bâtiment, également pensé par René Binet. La première partie de l’édifice est achevée en 1910, dans le plus pur style Art Nouveau. Des formes féminines et florales sont semées çà et là, toujours en gardant un semblant de similarité avec le magasin de la Belle Époque, de style plus classique. À l’intérieur, deux halls monumentaux de 42 mètres de haut sont surmonté de dômes colorés, également dans le style Art Nouveau. Des ascenseurs panoramiques permettent même de se rendre au salon de thé au sixième étage et d’avoir une vue sur tout Paris ! La Grande Guerre interrompt la fin des travaux et l’édifice n’est terminé qu’en 1920.

… À un Printemps Art Déco

hall art deco

Aussitôt terminé et prêt pour ouvrir, le bâtiment est dévoré par les flammes. Cette fois-ci c’est un court-circuit électrique qui est à l’origine du drame. La violence de l’incendie brise les vitres, fait fondre les toits, les charpentes métalliques intérieures et les ascenseurs. Mais Le Printemps ne se laisse jamais abattre et dès 1921 le magasin ouvre. Toutefois, l’intérieur est remis au goût du jour, dans le plus pur style Art Déco, caractéristique des années d’après-guerre.

Les soubresauts modernes du Printemps

Durant les années 1920, la croissance économique repart à la hausse et le volume de vente doit être augmenté. Néanmoins, le quartier ne peut plus être loti. Aussi, il est décidé de composer avec l’existant tout en le modernisant. En effet, les grands halls et ferronneries de style Belle Époque sont passés de mode. Aussi, dès 1929, on décide de combler le hall du magasin initial. Dans les années 1930, c’est au tour de l’un des halls Art Déco d’être comblé. Durant la Seconde Guerre Mondiale, les vitraux des dômes sont démontés en 1944 pour échapper aux éventuels bombardements. Après le conflit, c’est la période de prospérité des Trente Glorieuses. La consommation des français explose et les surfaces de vente doivent encore être augmentées. Aussi, on décide de combler le dernier hall existant en 1955. La lumière zénithale ne faisant plus recette vis à vis du nouveau et moderne néon !

En 1963, toujours à la pointe de la modernité, des surfaces de vente sont encore rajoutés au moyen de combles en béton au-dessus du magasin de la Belle Époque. Cela permet au Printemps de posséder lui aussi, comme les Galeries Lafayette, une terrasse panoramique ! Cette dernière accueille d’ailleurs de nombreux évènements comme des opérations de communication de stations de sports d’hiver qui viennent aménager une piste de ski artificielle en 1964 ! En 1969, pour profiter de l’histoire spatiale qui s’écrit, on installe même une lune géante sur le toit ! Quand ce n’est pas une fusée sponsorisée par la marque Shell.

Lune Printemps

Conscient de sa richesse architecturale, les vitraux polychromes de l’un des dômes du magasin Art Déco sont réinstallés en 1972 et surmontent depuis l’élégante brasserie. Les façades du bâtiment de 1883 sont classées aux Monuments Historiques en 1975 et l’intérieur des magasins Printemps est régulièrement repensé et rénové pour répondre aux demandes des chalands d’aujourd’hui et charmer ceux de demain. D’ailleurs certains prochains sont actuellement en cours et seront bientôt dévoilés, une fois la crise sanitaire passée.

Notre auteur invité : Ivan Boquet

Après des études à Sciences Po et en École de Commerce, j’ai fait quelques années dans le marketing et la communication où je me sentais inutile. J’ai donc décidé de me reconvertir et de passer le CAPES d’Histoire-Géographie pour devenir prof. En parallèle, j’ai créé le compte Instagram Instant.Archives où chaque jeudi je parle avec humour et dérision du patrimoine architectural, disparu ou modifié au cours des siècles. 

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